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d’être noté, car Gérard n’a pas en général un sentiment très juste de l’harmonie des tons. Il lui arrive souvent, dans ses portraits les meilleurs au point de vue de la ligne et de l’expression, d’introduire à côté de morceaux coloriés sobrement d’étranges violences de couleur qui faussent la gamme choisie et attirent mal à propos le regard. Dans le portrait en pied par exemple de Mme Laetitia Bonaparte, mère de l’empereur, l’ensemble de la figure respire le calme, la dignité sereine. Pose, dessin, ajustement et jusqu’à la couleur des vêtemens, tout a un aspect tranquille, et s’il était possible d’envisager isolément cette figure, on ne trouverait en elle que douceur et harmonie. Malheureusement l’impression est sinon détruite, au moins compromise par l’éclat inopportun des tons environnans. Le tapis rouge étendu sur le plancher, le buste en marbre blanc placé au second plan, d’autres accessoires encore usurpent sur les morceaux essentiels le droit de se mettre en vue. Rien de pareil dans le portrait de Mme Récamier. Chaque objet secondaire n’y a que l’importance qui convient, chaque intention partielle complète, au lieu de la troubler, l’intention générale du coloris, et ce qui ailleurs contredit ou divise l’effet ne sert ici qu’à en mieux préciser l’unité.

À l’époque où Gérard peignit ce beau portrait (1805), il était en pleine possession de son talent et de sa renommée. Les succès qu’il venait d’obtenir comme peintre d’histoire, succès plus brillans d’ailleurs que fructueux[1], ne l’avaient pas détourné de la carrière qu’il se sentait surtout appelé à parcourir, et, ses qualités d’homme du monde, le tour aimable de son esprit aidant, il était devenu bientôt le peintre de portrait en vogue. Tous les personnages que leur gloire, leur haute position ou leurs richesses classaient au premier rang avaient déjà posé devant lui ; beaucoup d’entre eux allaient encore recourir à ses pinceaux à mesure que grandiraient la réputation du peintre et la fortune des modèles. C’est ainsi que Gérard, après avoir peint le général Murat au commencement du siècle, faisait quatre ans plus tard le portrait du grand-duc de Clèves et de Berry, plus tard enfin le portrait du roi de Naples ; qu’il donnait pour pendant à son charmant portrait de madame Bonaparte le portrait de l’impératrice Joséphine, et que la même main qui avait reproduit une gracieuse scène de famille dans le portrait de madame Murat avec ses deux enfans traçait ensuite l’image officielle de la reine Caroline. Que de noms diversement célèbres ne faudrait-il pas citer, si l’on

  1. En dépit de l’enthousiasme qu’avait excité l’apparition de la Psyché au salon de 1798, cette toile n’avait pu trouver d’acquéreur. Quelque chose de ce qui s’était passé quelques années auparavant pour le Bélisaire se renouvela alors pour la Psyché. Deux amis de Gérard, — l’un des deux était l’architecte Fontaine, — se cotisèrent pour acheter le tableau, qui appartint ensuite au général Rapp.