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qu’elle résume le passé de l’enfant, contient un engagement pour l’avenir. C’est ce qui arriva pour le jeune fils du pope. Frappés de la vivacité de son esprit, de l’ingénuité et de la noblesse de son cœur, les maîtres de Michel Gramatine conçurent pour lui l’espoir d’une destinée peu commune ; ils voulurent que cette pensée fût sans cesse présente à l’esprit de leur élève, et le plaçant en quelque sorte sous l’invocation de l’espérance, ils lui donnèrent le nom de Spéranski.

Il y a à Saint-Pétersbourg un monastère célèbre, qui est en même temps un grand établissement d’instruction, une sorte d’université ecclésiastique : c’est le couvent de Saint-Alexandre Nevski. Ce monastère a été fondé par Pierre le Grand sur l’emplacement même où le prince Alexandre Nevski, que l’église grecque a élevé au rang de ses saints et que l’histoire russe compte parmi ses héros, remporta en 1239, sur les Suédois, les Danois et les chevaliers teutoniques, la mémorable victoire de la Neva. Transformé en université, le couvent de Saint-Alexandre s’ouvre tous les ans aux élèves les plus distingués des séminaires de l’empire. Le séminaire de Vladimir, en 1784, proposa comme candidat le jeune Michel, qui, accueilli après de brillans examens, se plaça tout d’abord au premier rang, et ne le quitta plus. Neuf ans après, à peine âgé de vingt et un ans, il passait des bancs des disciples dans la chaire du professeur, et devenait une des lumières de l’université. Il y enseignait à la fois les mathématiques, la physique et la littérature. Ses leçons sur l’éloquence, où l’exemple du maître complétait la théorie, attirèrent un public nombreux. Celui qui devait s’asseoir un jour dans les conseils du tsar débuta par les plus enivrans triomphes du professorat public. C’était chose nouvelle à Saint-Pétersbourg. Le jeune orateur du couvent de Saint-Alexandre inaugurait en Russie des habitudes et des succès littéraires qui rappelaient les grandes écoles de l’Allemagne et de la France. Sa belle figure, cette passion du bien et du vrai qui était l’âme de sa parole, tout, jusqu’à la mélodie d’un organe privilégié, ajoutait chez lui au prestige de la science. Recueilli par ses auditeurs, ce cours d’éloquence fut conservé comme un titre d’honneur dans les archives du couvent. On obtint bientôt la permission d’en prendre des copies ; les pages du jeune professeur devinrent un manuel qui réforma l’enseignement et donna une impulsion féconde à la littérature. Publiées en 1844 par un disciple fidèle, elles n’avaient rien perdu de leur éclat. Après un demi-siècle d’incontestables progrès, après un mouvement littéraire qui avait renouvelé la langue et la théorie de l’art oratoire, les leçons qui attiraient la foule sous Catherine II ont été accueillies de nos jours avec la même faveur.