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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/817

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entre le souverain et le conseil, indiquait les matières à traiter, conduisait la discussion et la résumait dans un rapport au tsar. Malgré la supériorité de ce rôle, Spéranski était encore arrêté par maintes entraves ; les ministres, si empressés naguère à invoquer son concours, commençaient à deviner en lui un censeur incommode et contrariaient ses plans. Spéranski avait besoin d’une autorité plus haute. Le 30 août 1810, jour de la fête du tsar, Alexandre institua pour son ami des fonctions exceptionnelles : Spéranski devint secrétaire, non plus du conseil seulement, mais de l’empire. Qu’était-ce donc au fond que ce secrétaire de l’empire ? Un ministre suprême, chargé de remanier de fond en comble tout le système administratif. Spéranski avait été secrétaire du conseil de 1808 à 1810 ; du 30 août 1810 au 17 mars 1812, il fut secrétaire de l’empire. C’est la période de sa puissance.

Faut-il raconter en détail les réformes accomplies ou préparées par le secrétaire de l’empire ? Dirai-je à quels scandales il a mis fin dans l’administration des finances, comment il a fait disparaître le papier-monnaie, comment il a réglé la perception de l’impôt, comment il a soumis les fonctionnaires à un contrôle, trop souvent encore éludé, mais redoutable cependant, et qui a produit d’heureux effets ; comment enfin, ne pouvant affranchir les serfs, il a assuré du moins la condition des paysans libres ? Parlerai-je de sa réforme des universités, de son règlement des examens, des efforts qu’il a faits pour populariser l’instruction primaire ? Le montrerai-je à l’œuvre, payant de sa personne, surveillant l’exécution de ses arrêtés ? Ce récit exigerait un volume, car on apprécierait mal le rôle de Spéranski, si en face de ces innovations on n’indiquait pas quel avait été jusque-là le désordre des affaires administratives et civiles[1]. Sans entrer dans ce dédale, il suffit, je crois, de marquer avec précision les principes du réformateur. Il voulait surtout l’égalité devant la loi. Il la voulait sans doute autant que le comportaient les mœurs et les préjugés du pays, il n’essayait pas de lutter contre une aristocratie qui fait la loi au tsar lui-même ; mais dans les limites où cette égalité était possible, il s’y attachait résolument. La répartition proportionnelle de l’impôt était un principe qu’il avait emprunté à la société occidentale ; il rêvait aussi la destruction des privilèges dans l’admission aux emplois publics, et de là ce règlement des examens qui souleva tant de colères. Avant lui, le fils d’un prince ou d’un comte n’avait pas besoin de diplôme pour entrer dans un ministère et s’y préparer à d’importantes fonctions ; les arrêtés

  1. On peut consulter, sur les travaux de législation du comte Spéranski, l’historiographe actuel de l’empire russe. Voyez Rousskaia Istoria, par M. Oustrialof ; 2 vol., Saint-Pétersbourg 1849.