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ses circulaires, ses ordonnances, même dans les questions les plus simples, sont des modèles d’élégance et de clarté. Tel fut de 1801 à 1808 le rôle de Michel Spéranski. L’esprit généreux du tsar Alexandre était pour lui un stimulant continuel ; il savait que ses innovations les plus hardies ne seraient pas désavouées.

Cependant le réformateur n’avait pas encore eu de relations personnelles avec le souverain dont le caractère bien connu encourageait son zèle. C’est seulement en 1808 que Spéranski fut admis dans l’intimité d’Alexandre. Le comte Kotschubey venait de tomber subitement malade un jour qu’il devait travailler avec le tsar ; Spéranski le remplaça auprès du maître. L’extérieur du jeune fonctionnaire, sa physionomie sereine et expressive, le feu de sa parole, cette espèce d’exaltation religieuse qui soutenait chez lui l’ardeur de l’homme d’état, tout cela devait charmer un esprit aussi impressionnable que celui d’Alexandre. Les entrevues devinrent fréquentes, et l’attrait fut de part et d’autre irrésistible. Spéranski avait trouvé le souverain idéal que rêvait son imagination ; Alexandre avait trouvé son ministre. Spéranski ne fut pas un conseiller ordinaire ; une amitié cordiale d’un côté, respectueuse de l’autre, s’établit entre le tsar et son conseiller. L’intimité devint plus étroite de jour en jour. La confiance de Spéranski était sans bornes ; il s’y livra avec la chaleureuse expansion de son âme. Presque tous les jours le tsar et son conseiller passaient ensemble une partie de la soirée, et les plus graves sujets de la science politique alimentaient la causerie familière. Que de rêves ! que de plans merveilleux I On sait comment Mme de Krüdener, six ans plus tard, s’empara de l’imagination d’Alexandre ; qu’on se le figure dans la première ardeur de son règne auprès d’un homme qui n’est pas seulement un généreux illuminé, mais une intelligence rompue à la pratique des affaires !

La grande idée à laquelle ils revenaient sans cesse dans ces conversations enthousiastes, c’était la nécessité de fonder enfin une législation uniforme. Le tsar venait d’augmenter les attributions de son ami. Spéranski avait été adjoint comme collègue au ministre de la justice et nommé président de la commission qui devait terminer le code des lois impériales. Ce n’était pas tout cependant. À peine nommé président de la commission législative, un de ses premiers actes avait été de réorganiser le conseil de l’empire, d’imposer une règle sérieuse à ses travaux, et le tsar, pour le récompenser, l’avait installé auprès de ce conseil en qualité de secrétaire. Les fonctions étaient plus importantes que le titre ; l’influence du secrétaire était immense. Le conseil de l’empire, composé des ministres et des principaux directeurs des services publics, délibérait sur les questions d’administration générale ; le secrétaire, placé comme une sorte d’intermédiaire