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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/832

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de la Sibérie, il put de loin consolider son œuvre. Il eut rang dans le conseil de l’empire, sa fille fut placée auprès de la tsarine Elisabeth ; mais Alexandre évitait de rencontrer l’homme qui avait été l’ami et l’inspirateur de sa jeunesse. Sa présence lui était comme un reproche.

Alexandre mourut en 1825. L’irritation qui couvait depuis le retour de l’armée éclata à l’avènement de son successeur. On sait quelle fut, en face des insurgés de Saint-Pétersbourg, l’héroïque attitude du tsar Nicolas. L’insurrection vaincue, le jeune souverain eut la pensée d’inaugurer son règne par des lois régulières qui fussent une garantie pour ses peuples. À qui s’adresser pour une telle œuvre ? L’opinion faisait des vœux pour Spéranski. Sa science de jurisconsulte, ses travaux législatifs, tout le désignait au choix du tsar. Spéranski fut chargé de cette grande mission dès le mois de décembre 1825, quelques semaines seulement après le commencement du nouveau règne. Il se mit immédiatement à l’œuvre. L’immensité de la tâche ne l’effraya pas. Il s’agissait, non plus de rédiger des règlemens administratifs, mais de préparer tout un code, de coordonner les lois et les coutumes des Slaves et de les approprier aux mœurs présentes. La clarté, cette bonne foi des philosophes, est la suprême vertu du législateur. Spéranski se préoccupa de la clarté plus que de la concision du langage. Il savait bien quel est le prix d’une brièveté précise ; mais, dans un pays où l’indépendance des tribunaux n’existait pas, il renonça par devoir à la concision des formules, s’appliquant surtout à entrer dans les détails, à donner le plus de garanties possible à l’équité. Sept ans après, au commencement de l’année 1833, le travail de Spéranski, connu sous nom de Svod Sakonov ou Corpus juris russici, parut à Saint-Pétersbourg, en quinze volumes in-quarto. Il ne contenait pas moins de 42,298 articles. Le conseil de l’empire avait été convoqué pour en prendre connaissance ; le tsar lui-même présidait l’assemblée. Ce fut une journée de triomphe. Le tsar manifesta sa joie avec effusion ; il serra Spéranski dans ses bras, et, détachant de son uniforme la plaque de Saint-André, il la plaça sur la poitrine du législateur.

Cet immense recueil n’était que la préparation d’une œuvre plus importante ; le Svod Sakonov était destiné à devenir un code, et Spéranski, impatient de laisser ce monument à son pays, s’y appliquait avec une ardeur fébrile qui épuisa bientôt ses forces. Frappé d’une maladie de langueur, il redoublait encore de zèle comme pour disputer son œuvre à la mort. Cette lutte accéléra l’heure fatale. Le 1er janvier 1839, le tsar lui avait accordé le titre de comte. On pense bien que le réformateur attachait peu de prix à cette distinction, et encore moins aux privilèges qui l’accompagnent. « Ce n’est