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une place dans cette illustre assemblée ; mais l’histoire ne lui refusera pas un souvenir, car si la Russie un jour s’associe complètement à la civilisation libérale, si elle se débarrasse de toutes les traditions que l’Orient lui a léguées, si elle élève et régénère ses peuples, si elle affranchit ses serfs, si elle substitue aux caprices d’un maître l’autorité de la loi, elle vénérera la mémoire de l’homme qui a entrevu de loin cette rénovation du pays, et y a contribué selon ses forces.

C’est dans son gouvernement de Sibérie que le comte Spéranski a été véritablement libre, et le bien qu’il a su y accomplir est attesté par d’irrécusables témoignages. Là point de serfs, point de seigneurs, mais des paysans libres et des commerçans. Cette population active était opprimée jadis par une multitude de tyrans subalternes. Des fonctionnaires de tout ordre avaient essayé de porter dans les provinces d’Asie les habitudes de la Russie d’Europe ; la Sibérie n’ayant pas de boyards, ils prétendaient en tenir lieu. Le comte Spéranski n’avait pas même essayé en Russie de lutter contre les traditions séculaires qui soumettent des milliers de serfs à un petit nombre de maîtres : des monts Ourals à la frontière chinoise, il empêcha cette tyrannie, de s’établir. Les fonctionnaires, ont été soumis à un contrôle régulièrement organiserez les Sibériens, protégés par un code, développent chez eux un esprit libéral et humain qui a frappé d’étonnement des juges désintéressés.

Voilà son meilleur, titre, si l’on n’apprécie que les actes. En Russie, pendant les quatre années qu’il a passées dans l’intimité d’Alexandre, il n’a pu laisser que des projets. Lorsque le tsar Alexandre, en 1811, promulgua une partie des règlemens et décrets préparés par son ami, il annonça à ses peuples que l’empire désormais serait gouverné par la loi. Ce titre d’autocrate (samoderjetz) que les premiers chefs de la Russie prenaient avant de se transformer en tsars au XVe siècle, et que Pierre le Grand avait repris,avec une franchise altière pour l’associer à celui d’empereur, ce titre orgueilleux devait logiquement disparaître. Ce n’était plus la volonté changeante d’un homme qui réglerait les affaires, c’était la loi, une loi bonne ou mauvaise, mais enfin une loi fixe et connue de tous. Nous avons vu que ces promesses ont produit de médiocres résultats ; la faiblesse d’Alexandre paralysait les efforts du secrétaire de l’empire et ses propres intentions. N’importe, la promesse a été faite, cette parole tombée de si haut a dû rester dans plus d’une mémoire, elle germera en silence et produira ses fruits. On n’oubliera pas alors que ce solennel engagement a été pris par le tsar Alexandre sous l’influence des conseils et des exhortations du comte Spéranski.

Si nous jugions ces choses d’après les principes de notre société