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buissons qui garnissaient les rives ; les branches des arbres étaient chargées d’oiseaux au plumage éclatant, tandis qu’au-dessous grimaçaient, en gambadant de mille manières, une foule de singes. Ces animaux s’apprivoisent facilement, et forment un objet de commerce assez considérable. Pour les prendre vivans, voici le procédé singulier dont les habitans font usage. Sous un arbre fréquenté par les singes, ils disposent une cruche en bois pleine d’une sorte de bière à laquelle est mélangé du miel. Les quadrumanes boivent à longs traits cette liqueur qui les enivre ; alors apparaît le preneur de singes, qui s’empare de tous ceux que l’ivresse a couchés à terre. Les bords du, Nil-Bleu sont, fréquentés par des lions, des éléphans, des hyènes, et par des serpens, des scorpions, enfin toutes les bêtes venimeuses que produisent en abondance ces régions tropicales.

À une distance de trois journées au sud de Sennâr s’élève Roseros, ville qui compte trois mille habitans, en partie noirs, et qui est bâtie, dans un site pittoresque, près du Nil-Bleu, dont un épais fourré de palmiers la sépare. La végétation équatoriale s’y développe dans toute sa splendeur. Vers l’horizon, du côté du sud, s’étend une chaîne, de montagnes voilées par une brume bleuâtre. Une cataracte interrompt en cet endroit la navigation du Nil-Bleu, et à une distance de quelques journées de marche vers le sud, le Sennâr fait place au Fazogl.

Les habitans du Sennâr ne forment pas un peuple distinct : on retrouve en eux le mélange des Nubiens, des Arabes, des Égyptiens, avec les nègres indigènes ; de là une grande diversité de nuances dans le sang et la couleur des habitans de toute cette région, et aussi une variété de physionomie résultant de ce que le nez est plus ou moins épaté, les lèvres plus ou moins saillantes, le front déprimé, les cheveux laineux. Il y a beaucoup de grands et beaux hommes, et la plupart des femmes sont admirablement bien faites. Le costume des deux sexes consiste dans une pièce de toile blanche attachée en ceinture à l’une de ses extrémités, puis ramenée et drapée sur tout le corps. Dans l’intérieur du logis, les femmes se contentent de porter un morceau de coton formant une sorte de jupe qui leur tombe sur les genoux. Les hommes ne sont pas mieux vêtus ; c’est seulement pour sortir que les uns et les autres s’enveloppent dans leur toile. La plupart des pauvres gens n’en ont qu’une seule, et ne la quittent pour une autre que lorsqu’elle tombe en lambeaux. Des sandales en cuir, a bouts arrondis et quelquefois pointus, sont la chaussure usuelle, et comme la pièce de toile dont les Sennâriens s’enveloppent le corps, comme leur coiffure, comme le visage de la plupart d’entre eux, cette partie du costume n’a pas changé depuis trois ou quatre mille ans. Elle est telle encore qu’on la trouve dessinée sur les obélisques et les hypogées de Méroë et de la Nubie. Les cheveux sont réunis en une infinité de petites tresses avec lesquelles on en forme de plus grosses qui sont rassemblées sur le sommet de la tête. Pour objets de parure, les Sennâriennes portent de la verroterie de Venise et des bracelets d’argent, de fer ou d’ivoire. Les jeunes filles ont pour tout vêtement une ceinture appelée rahadh, de laquelle pendent des lanières de cuir en guise de franges, et ornée de petites coquilles univalves vulgairement connues sous le nom de cauris, ou monnaie de Guinée, et d’un gros coquillage dit peau de tigre, qui est le symbole de leur