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virginité. Dès qu’elles deviennent nubiles, elles y ajoutent une touffe rouge en peau ou en soie.

La lance, le sabre à deux tranchans, le bouclier long de peau de crocodile ou de rhinocéros, sont les armes qu’emploient les Sennâriens. Toutefois un certain nombre d’entre eux commencent à posséder des fusils. Pour ces hommes, comme pour la plupart des autres peuples sauvages, le courage est la première des vertus. À l’époque où les Égyptiens exercèrent contre les habitans du Sennâr les plus cruelles représailles pour les punir de leur révolte, on vit un grand nombre d’entre eux déployer au milieu des tortures la même énergie que les Indiens de l’Amérique au temps de Pizarre et de Cortez. Beaucoup moururent sous le bâton ou sur le pal sans qu’on pût leur arracher une plainte. M. Cailliaud[1] raconte qu’il eut un jour le courage de vaincre sa profonde répugnance et d’assister aux tortures des Sennâriens empalés. Il s’agissait de deux chefs rebelles. L’un d’eux eut un moment de faiblesse, il demanda à avoir la tête tranchée ; mais sur un mot de son compagnon il se tut et demeura impassible. Cependant les exécuteurs leur avaient lié les mains, puis les avaient jetés à plat ventre et leur avaient passé le cou entre deux gros piquets fichés en terre qui servent de point d’appui pour les épaules. Deux exécuteurs saisirent chacun des patiens par un pied en tirant fortement à eux, pendant que d’autres introduisaient dans le fondement un pieu en bois et l’enfonçaient à coups de massue. Cet instrument n’est aiguisé qu’à ses extrémités ; dans tout le reste de la longueur, il est plus gros que le bras. Lorsqu’il est arrivé dans la région du cou, les exécuteurs le dressent et le plantent comme un mât ; L’un des deux malheureux au supplice desquels M. Cailliaud assistait donna des signes de vie, en remuant la tête et les bras, plus de dix minutes après son exécution ; l’autre sembla mourir immédiatement, quelque organe vital avait dû être lésé. Pendant toute la durée du supplice, aucun des deux ne proféra un cri, ne dit un mot.

Les superstitions sont nombreuses au Sennâr. Si quelqu’un, dans une famille, meurt subitement sans être tombé victime d’une vengeance ostensible, c’est qu’il a été tué par le sahar. Le sahar est un sorcier qui peut, à sa fantaisie, revêtir la forme humaine la plus séduisante ou se transformer en crocodile et en hyène ; il se nourrit de sang humain, et, pour faire mourir une personne, il lui dévore intérieurement le cœur, le foie ou les entrailles. Par bonheur, il y a les fakih ou angari qui connaissent à des marques certaines ces hommes-démons, et qui les désignent à la vengeance publique. Le Sennârien dont la femme est enceinte doit bien se garder de tuer un animal, car son enfant périrait dans le sein de sa mère. L’une des plus remarquables singularités de ce peuple lointain, c’est qu’on retrouve chez lui, dans certaines circonstances, une sorte de jugement de Dieu analogue à celui que les Germains introduisirent autrefois dans la Gaule. Avant l’invasion égyptienne, quand une femme en accusait publiquement une autre de se prostituer,

  1. Voyage à Meroé, au fleuve Bleu et au Fazogl, 4 vol. in-8o, 1826. Ce voyageur accompagna le fils de Méhémet-Ali, Ismaël-Pacha, chargé par son père de soumettre ces régions. Ismaël périt à Chendi dans un soulèvement que son oppression avait excité. Il eut pour successeur son beau-frère, Defterdar, qui fut renommé, même en Afrique, pour ses extravagantes cruautés.