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que pour se procurer de l’eau dans la saison sèche ces éléphans vont se coucher dans le lit desséché du Toumat. Peu à peu le poids de leur corps déprime les couches supérieures du sable et forme un creux ; l’eau remplit bientôt ce bassin, et l’animal se désaltère à l’aise.

M. Kovalevski, jugeant que toute cette région n’avait pas une dénomination assez précise, lui donna, par patriotisme, le nom russe de Nicolaes-kaïa ; mais la géographie n’a pas ratifié cette décision, et elle continue à appeler Quamamyl le pays qui environne Fadassy du côté de l’ouest. C’est la partie la plus orientale de Dâr-Bertat[1], situé lui-même au sud de Fazogl, entre les deux Nils.

C’est entre les régions où M. Kovalevski vient de nous conduire et le golfe arabique que s’étend l’Abyssinie ; ses limites extrêmes, du nord au sud, sont le 17e et le 8e parallèle nord environ. Cette contrée, qui semble destinée, par sa situation géographique et par l’intelligence de ses habitans, à obtenir une grande importance dans l’avenir commercial de l’Afrique, doit un climat tempéré à ses montagnes et à l’élévation de ses plateaux. La végétation, moins puissante que dans les autres régions de la zone tropicale, y est cependant encore d’une incomparable richesse. Les peuples d’Abyssinie comptent de longs siècles d’existence ; leurs traditions historiques et religieuses racontent que la fameuse reine de Saba, qui dix siècles avant Jésus-Christ s’en alla dans Jérusalem rendre hommage à la gloire de Salomon, n’était autre que Makada, l’une de leurs souveraines. Couverte de colonies grecques au temps des Ptolémées, convertie plus tard au christianisme par le Grec d’Alexandrie Frumentius, qu’une tempête avait jeté sur ses rivages, l’Abyssinie connut de la sorte les deux élémens les plus actifs de la civilisation. Par malheur de longues discordes et les querelles religieuses l’empêchèrent de les mettre suffisamment en œuvre, et sa population intelligente et laborieuse, bien que fort avancée dans la civilisation, si on la compare au reste des peuples africains, n’en est pas moins très arriérée et très barbare encore aux yeux des Européens. L’Angleterre et la France ont également jeté les yeux, sur ce point de la côte d’Afrique, si avantageusement situé pour le commerce de la mer des Indes, et ce motif, joint aux recherches dont le but était de découvrir les sources du Nil, a fait de l’Abyssinie le théâtre de nombreux voyages. Ses diverses contrées, le Semiène, le Tigré, l’Amhara, le Choa, ont été, de 1839 à 1853, explorées par MM. Combes et Tamisier, Feret et Galinier, Lefebvre, Rochet d’Héricourt, d’Abbadie, et par un grand nombre de missionnaires et d’officiers anglais[2]. Le moins connu de ces voyages est celui des frères d’Abbadie. M. Lefebvre a eu à lutter contre les difficultés les plus terribles d’un voyage en Afrique. M. Rochet a recueilli d’intéressans détails sur les peuples gallas. Après avoir dit un mot de leurs recherches, nous aurons surtout à nous occuper des travaux de MM. d’Abbadie,

  1. Dâr signifie pays.
  2. Parmi ceux-ci, nous mentionnerons M. Burton, lieutenant au service de la compagnie des Indes, qui, le premier entre les Européens, a pénétré dans la ville d’Hurur ou Harar, sur les limites des régions abyssines et gallas, après être parti de Zeyla, sur le golfe d’Aden. Ce voyage est tout récent. M. Burton en a donné un compte-rendu dans un de nos recueils géographiques.