Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/897

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui forment la transition naturelle des expéditions du Nil-Bleu à celles du Nil-Blanc.

M. Théophile Lefebvre, lieutenant de vaisseau, reçut du gouvernement français, en 1839, la mission d’étudier les mœurs, les usages, les institutions civiles et religieuses de l’Abyssinie, et de rechercher, les moyens d’ouvrir quelques relations à notre commerce dans ce pays. On lui adjoignit MM. Petit, médecin et zoologiste, Dillon, naturaliste, et Vignaud, dessinateur. Les résultats de cette expédition ont été publiés en 1846 sous les auspices du ministère de la marine[1] ; à la lecture de ce curieux et savant ouvrage, on est plein d’admiration pour le zèle opiniâtre et pour le courage de ces quatre jeunes gens qui avaient mis toute leur ambition dans l’accomplissement de leur devoir, devoir si pénible qu’il coûta la vie à trois d’entre eux. M. Lefebvre vit périr un à un tous ses compagnons de voyage ; Dillon succomba aux fièvres mortelles de ce climat ; Petit fut emporté sous ses yeux par un crocodile ; Vignaud regagnait la France, il mourut en chemin. M. Lefebvre revint seul en Europe. Aujourd’hui l’intrépide voyageur parcourt encore l’Abyssinie ; il y est retourné en 1854 pour développer dans ce pays, s’il est possible, quelques élémens de colonisation française.

On doit à M. Rochet, avons-nous dit, de curieux détails sur les Gallas. C’est dans la partie méridionale de l’Abyssinie, du 8° degré de latitude nord à l’équateur et peut-être même au-delà, que sont répandues les peuplades belliqueuses des nègres gallas. Les individus de cette race sont des hommes grands et bien faits ; leur peau est d’un brun olivâtre foncé ; ils ont les cheveux crépus, mais non laineux comme les nègres à face déprimée du Sennâr. Par l’ouverture de leur angle facial, la vivacité de leur regard et les principaux caractères de la physionomie, ils ressemblent aux Abyssins. Leur culte est un paganisme mêlé de fétichisme ; leurs mœurs sont plus violentes, plus rudes que celles de leurs voisins chrétiens ; cultivateurs et guerriers, ils ont au plus haut degré la passion des armes et du pillage. Ils sont un objet de continuelle terreur pour leurs voisins, et sans les dissensions qui travaillent leurs innombrables tribus, ils auraient pu conquérir une grande portion de l’Afrique. Leur origine est sans aucun doute étrangère : le sang asiatique s’est mélangé chez eux au sang noir ; de confuses traditions, qui vivent encore, disent qu’ils vinrent de l’autre côté des mers, et qu’un chef de leurs tribus, du nom d’Oullabou, contemporain de Mahomet, les conduisit en Afrique. Galla, dans leur langue, signifie envahisseur. Les musulmans donnent une autre origine à leur nom : suivant eux, Mahomet envoya un messager à Oullabou pour l’engager à s’associer à son œuvre ; Oullabou refusa. « Il a répondu non, ga la, dit le messager au prophète. — Qu’il soit donc maudit, répondit Mahomet, et que ces mots ga la soient désormais le nom de la race qui n’a pas voulu croire aux révélations de l’ange Gabriel. »

Dans leurs guerres, les Gallas dévastent les pays par lesquels ils passent, emmènent comme prisonniers et esclaves tous ceux qu’ils surprennent sans défense, égorgeant ceux qui résistent, afin de se procurer le trophée qui

  1. Voyage en Abyssinie exécuté pendant les années 1839, 1840, 1841, 1842, 1843, par une commission composée de MM. Lefebvre, Petit, Dillon et Vignaud, publié par Th. Lefebvre. 5 vol. in-8o.