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relativement importantes, Magadoxo, Brava, Jubo, Meline, Mombas, des cours d’eau qui, au-delà de leur embouchure, ne se dessinaient plus qu’en lignes indécises, voilà tout ce que nous connaissions de cette contrée. La grande carte d’Afrique de d’Anville, vieille aujourd’hui d’un peu plus de cent ans, constate d’une manière générale l’existence de peuplades musulmanes ; elle indique quelques tribus, dessine trois ou quatre embouchures, puis laisse un espace blanc ouvert à toutes les hypothèses. Dans ses cartes, qui datent de vingt ans environ, M. Lapie fait sur ce point un pas en arrière de d’Anville, puisqu’il ne donne aucune indication du lac Maravi ou Nyassi, autour duquel s’accomplissent en ce moment des découvertes considérables ; mais, par une heureuse conjecture, il dessine des montagnes là même où depuis on a reconnu des pics chargés de neige. Toutefois la portion de l’Afrique orientale qui est située sous l’équateur était, il n’y a que quelques années, vierge de toute exploration européenne. Pour y poser les premiers jalons d’une vaste reconnaissance et inaugurer les grandes découvertes qui s’y poursuivent, il ne fallait rien moins que cet esprit d’investigation et de recherches que les Anglais portent avec eux dans leurs missions lointaines.

Plusieurs stations religieuses, Rabai, Rabai Mpia, Kisuludini, sont établies sur la côte de Zanguebar, aux environs de Mombas et de Melinde, en vue de propager parmi les indigènes les notions du culte évangélique, Ce fut à Rabai Mpia que les révérends Krapf et Rebmann vinrent s’établir il y a une quinzaine d’années. Pendant longtemps, les missionnaires se livrèrent exclusivement à l’exercice de leurs fonctions religieuses ; mais vers 1848 leur curiosité se trouva stimulée par les notions qu’ils recueillirent sur les particularités géographiques du pays jusqu’alors inexploré de Tagga, qui s’étend dans la direction nord-ouest de Mombas. Dans les derniers jours d’avril 1849, le docteur Rebmann entreprit avec neuf hommes, Arabes et nègres, une expédition, dans cette direction pour éclaircir ses doutes sur l’existence de hautes montagnes encore inconnues. Il traversa d’abord un pays que l’on appelle Taïta, où il reconnut la chaîne des monts Boora, qui se dirigent du nord au sud. Il fallut à l’expédition trois jours pour franchir cette contrée pittoresque et pleine de magnificence. Le sol était couvert de bananiers et de cannes à sucre, l’air était pur, le paysage varié. Cette contrée élevée, où les chaleurs de l’équateur cessent d’être insupportables, parut à M. Rebmann l’une des plus délicieuses qu’il fût possible de rencontrer.

Arrivé en un lieu appelé Musagnombe, le voyageur se concilia par des présens la bienveillance de plusieurs chefs, et obtint d’eux des renseignemens sur la contrée au sein de laquelle il allait s’engager. Là encore il entendit parler d’une montagne excessivement haute et située dans le Tagga, à cinq journées à l’ouest du Taîta. Son guida refusa de l’accompagner à une si grande distance, et il se borna à lui montrer le mont Tare, à dix-huit lieues au sud, et le mont Ugono, à vingt lieues au sud-ouest. Au pied de cette dernière montagne s’étend un grand lac qui porte le nom d’Ibé. Malgré le mauvais vouloir du guide, la petite caravane continua à s’avancer vers le pays de Tagga, à travers une région montagneuse et boisée, couverte d’inextricables buissons et traversée par des rivières. La nuit, on entendait le cri des hyènes et des autres animaux féroces, et durant la marche, le jour, on voyait de grands troupeaux de zèbres, de girafes et de rhinocéros.