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À quelque distance vers le nord s’élève une montagne que les indigènes appellent Tongué ; tout le pays qui l’environne, renommé pour sa fertilité, était, il y a quelques années, peuplé d’un grand nombre de villages dont les habitans ont été expulsés par les tribus des Ouâsegua, qui font une guerre acharnée aux Ouâsambara[1], et qui ont souvent la supériorité, grâce aux armes à feu qu’ils tirent de Zanzibar.

En quittant le district de Pangani, le docteur Krapf traversa la province montagneuse de Bondeï, qui a pour chef-lieu le village de Handeï, situé sur l’une de ses plus hautes montagnes, et il parvint au grand village de Djoumbi, près duquel s’élève le Pambiré, qui est le point culminant de la chaîne de montagnes du Bondeï. Au-delà de cette région montagneuse, vers le nord, coulent de grandes rivières dont la plus importante est appelée dans le pays Mgambo ; ses bords sont pittoresques et couverts d’une belle forêt entrecoupée de hautes herbes et de marécages. Plus loin, sur le versant occidental de la haute montagne de Kambora, d’où la vue embrasse un magnifique panorama et s’étend jusqu’à la mer, le voyageur parvint aux limites du pays occupé par les Masaï, peuple redouté du roi d’Ousambara. Ces sauvages ne disposent cependant que de moyens d’agression tout primitifs ; leurs armes n’ont consisté pendant longtemps que dans l’arc et les flèches, et le plus grand progrès qu’ils aient accompli jusqu’ici a été d’y substituer la lance et le bouclier de peau de rhinocéros ou d’éléphant. Les Souàhhely, autre peuple de cette région, doivent à leur contact avec les Asiatiques et les Européens des armes plus redoutables. Ces Souàhhely sont des indigènes mélangés d’Arabes et depuis longtemps convertis à l’islamisme : Leurs tribus, répandues sur une grande partie de la côte de Zanguebar, dépendent du roi d’Ousambara. Cependant ils prennent le nom de Ouâoungkouana, qui signifie peuple libre, parce qu’ils jouissent d’un grand nombre de privilèges que n’ont pas les Ouâsambara. Ils doivent cet avantage autant à leur religion, qui, aux yeux des indigènes mêmes, les élève au-dessus des idolâtres, qu’à leurs relations commerciales avec l’Europe et l’Asie.

Les montagnes de l’Ousambara sont extrêmement élevées ; elles surpassent en hauteur celles du Bondeï et rendent difficiles les explorations des voyageurs. C’est au-delà de ces montagnes, sur un terrain plus uni et parsemé cependant de hauteurs arrondies et arides où les indigènes établissent leurs habitations, et dont l’uniformité est coupée çà et là par des plantations de bananiers, de tabac et de cannes à sucre, que s’élève Touga, capitale de l’Ousambara. M. Krapf et ses compagnons y furent installés et traités avec les plus grands égards, en attendant l’audience que le roi Kméri voulait bien leur accorder. Après quelques jours d’attente, cette entrevue eut lieu, et voici comment le voyageur la raconte dans son Journal envoyé en Angleterre et reproduit par le Church Missionary Intelligencer (d’avril 1854) : « Cette après-midi, 14 mars 1852, Kméri a enfin paru au bas de Touga. Une compagnie de soldats le précédait, chaque homme de la troupe déchargeait successivement son fusil, ce qui produisait un effet terrible dans

  1. Dans les langues de l’Afrique orientale, la syllabe préfixe ou désigne un pays, la syllabe ouâ un peuple. Ousambara désigne le pays, Ouâsambara les habitans.