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dont elle chanta le duo de Matilde di Shabran avec Mme Bosio de charmante mémoire. Cette musique lumineuse, qui tient plus de la fantaisie que du sentiment et qui ne dépasse jamais, Dieu merci, les régions tempérées de la sonorité, convenait beaucoup à Mme Borghi-Mamo, dont la vocalisation un peu lourde, strascinata, et la respiration courte étaient rachetées par un certain accent de douce mélancolie qui nous rappelait parfois Mme Pasta. Depuis, Mme Borghi-Mamo a chanté le rôle de la zingara Azucena dans Il Trovatore, de M. Verdi, avec un succès moins éclatant, à notre avis, précisément parce qu’elle avait à exprimer des sentimens trop énergiques pour son tempérament délicat et sa voix che nell’ anima risuona. C’est avec de telles qualités modérées que Mme Borghi-Mamo s’est décidée à venir déclamer la tragédie lyrique dans une langue qu’elle ignore et devant un public qui tient autant aux paroles de M. Scribe qu’à la musique de Meyerbeer ou de Rossini. La cantatrice italienne s’est produite dans le rôle de Fidès, qui fut créé en 1849 par Mme Viardot avec une grande puissance de conception. Comme on devait bien s’y attendre, Mme Borghi-Mamo, gênée tout d’abord par la prononciation d’une langue qui lui brûle les lèvres et par le caractère d’un personnage qui exige plus d’énergie que de résignation, a tourné la difficulté. Elle a adouci toutes les teintes de cette figure fortement accusée, à la manière d’Holbein, et d’une femme de l’Ancien-Testament que la foi transporte au-delà du foyer domestique elle a fait une mater dolorosa. Très faible dans les deux premiers actes, Mme Borghi-Mamo s’est relevée dans l’admirable scène de l’église, au quatrième acte, où M. Roger a eu aussi de très beaux mouvemens, alors qu’il interroge sa mère d’un regard plein de piété et de terreur. Que les beaux esprits qui contestent à Meyerbeer la toute-puissance du génie dramatique aillent entendre cette scène du quatrième acte du Prophète, et ils pourront facilement se convaincre que l’homme qui l’a conçue porte au front le sceau de la vie éternelle. Ce qui est bien certain, c’est qu’il n’y a point en Europe de compositeur qui puisse lutter avec Meyerbeer pour édifier cette œuvre de démon qu’on appelle un grand opéra français en cinq actes. Mme Borghi-Mamo a été encore plus heureuse dans l’andante de la cavatine du cinquième acte, surtout dans le beau passage :


Mon pauvre enfant, mon bien-aimé,
Sois pardonné !


Dans le duo qui suit, la cantatrice a fait également ressortir la phrase touchante qui accompagne ces paroles :


À la voix de ta mère
Le ciel peut se rouvrir.


Toutes les parties de ce rôle, éminemment dramatique, qui pouvaient être chantées, toutes les phrases mélodiques qui s’y rencontrent, ont été rendues avec bonheur par la cantatrice italienne} mais sa prononciation molle laisse échapper la syllabe, et on dirait que ses lèvres délicates n’osent la presser : Il en résulte une trop douce mélopée, une déclamation quelque peu efféminée. Ces restrictions faites, et sans rien présager pour l’avenir, nous ne saurions