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la musique du Pas des soldats, le quatuor avec chœur : C’est là cet archer redoutable, et d’autres menus détails qu’il est inutile de mentionner. Le quatrième acte s’ouvre maintenant par le fameux air : Asile héréditaire, qui autrefois terminait gauchement l’ouvrage. On y a rétabli le trio : Je rends à votre amour un fils digne de vous, et la prière finale. Avouons cependant que ces restitutions n’ajoutent pas grand’chose à l’admiration qu’inspirait déjà Guillaume Tell, et que si l’administration de l’Opéra a fait son devoir en rétablissant les morceaux éliminés d’un chef-d’œuvre qu’elle doit respecter, on ne peut trop se fâcher contre ceux qui avaient jugé ces suppressions nécessaires. Ceci nous rappelle une anecdote qu’un illustre historien aimait à raconter. Lorsque M. Augustin Thierry publia dans un journal, sous la restauration, ses Lettres sur l’Histoire de France, la presse périodique était soumise à la censure. L’esprit et le style du grand écrivain passèrent donc sous les fourches caudines des bureaux de la police. « Eh bien ! disait M. Augustin Thierry avec un malin sourire, en faisant imprimer plus tard ces mêmes Lettres en corps d’ouvrage, je ne jugeai pas qu’il fût utile de rétablir les passages qui avaient été retranchés par des ciseaux si intelligens ! » Pour ne pas abdiquer entièrement les droits de la critique, qu’on nous permette une remarque sur l’ouverture de Guillaume Tell. Cette introduction de violoncelles dans une symphonie d’un caractère pastoral et militaire est-elle bien à sa place ? Cela conviendrait à un oratorio, à une action biblique, et non pas à une fable toute remplie de sentimens exaltés et patriotiques. Cette introduction nous a toujours paru un contre-sens, un effet curieux et purement musical, qui n’est justifié ni par le caractère de la symphonie ni par celui du drame dont elle doit annoncer le développement. Quoi qu’il en soit, l’exécution de Guillaume Tell laisse grandement à désirer. Excepté MM. Gueymard et Bonnehée, qui ont fort bien chanté l’incomparable trio du second acte, tout le reste est d’une faiblesse extrême, y compris l’orchestre, qui manque de soins, de nuances et d’ensemble. Ah ! que Meyerbeer a raison d’imposer à ces mirmidons sa volonté de fer !

Après Guillaume Tell, dont l’exécution imparfaite n’a pu empêcher le rayonnement de ce foyer ; de mélodies limpides et d’harmonie puissante, on a repris, au même théâtre, le Prophète, pour les débuts de Mme Borghi-Mamo, qui a bien voulu délaisser la langue de l’Arioste pour apprendre à balbutier celle de M. Scribe. Évidemment tous les goûts sont dans la nature, et, la cantatrice italienne doit avoir ses bonnes raisons pour avoir consenti à un si grand sacrifice. Toutefois l’erreur est le partage des faibles mortels, et les prime donne les plus assolute n’en sont pas plus exemptes que nous, pauvre chercheur de vérités ! À ce titre, nous serions tenté de croire que Mme Borghi-Mamo aurait pu prendre une meilleure détermination, et qu’il est fort douteux qu’elle puisse s’acclimater jamais sur une scène où le ciel ne l’a pas fait naître. Mme Borghi-Mamo est pourtant une cantatrice de talent, dont la voix de mezzo-soprano, qui s’étend depuis le la au-dessous de la portée jusqu’à l’ut de l’octave supérieur, possède un timbre délicieux dans certaines notes caractéristiques. D’un physique grêle, qui annonce plutôt la faiblesse que l’énergie nécessaire aux emportemens dramatiques, Mme Borghi-Mamo se fit remarquer, il y a deux ans, au Théâtre-Italien par la manière