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objet plus complète que celle que nous avons de la Divinité. C’est là le cas de la plupart des hommes, et une infirmité naturelle ne peut jamais être un crime. »


Cette façon d’envisager les rapports de l’homme avec Dieu se rapproche beaucoup des sentimens d’un autre utilitaire, de Franklin. On y reconnaît le caractère essentiellement positif de Hume et la nature toute géométrique de son esprit. L’homme qui était insensible à toutes les émotions et à tous les plaisirs que procurent les arts, qui n’avait jamais regardé même le plus beau tableau avec un intérêt réel, pour qui la musique n’était que du bruit, qui avait parcouru l’Italie, la France et l’Allemagne sans admirer un seul de leurs chefs-d’œuvre ni une seule de leurs beautés naturelles, qui ne trouvait que des épigrammes contre l’architecture du moyen âge et contre la chevalerie, devait être inaccessible à toute sensibilité religieuse. Hume le dit lui-même comme on vient de le voir : Dieu ne parlait pas plus à son imagination qu’à ses sens. C’est que personne n’eut jamais une intelligence plus nette, plus déliée, plus pénétrante et en même temps frappée d’une plus incurable stérilité. La faculté divine, le pouvoir créateur, l’imagination lui manquait. Ce fut là la source de toutes les erreurs de Hume : il demeura perpétuellement à mi-chemin de la vérité faute d’être guidé dans ses travaux par cette lumière intérieure qui fait voir au-delà et au-dessus des syllogismes de la logique, et qui n’est pas moins nécessaire au philosophe pour féconder ses recherches qu’au poète pour donner la vie à ses vers.


II.

Les cinq années que Hume passa à Ninewells doivent compter au nombre des plus heureuses de sa vie. Ses relations de famille, ses travaux, sa réputation naissante, l’avaient mis en rapport avec les hommes les plus distingués de l’Écosse, et il entretenait avec eux un commerce assidu de lettres et de visites. L’usage subsistait encore parmi les familles aisées du pays d’envoyer leurs fils faire ou compléter leurs études dans les universités du continent, surtout à Leyde. En parcourant la correspondance de Hume avec ses amis, on est frappé de voir combien était générale alors une connaissance approfondie, non-seulement de l’antiquité, mais des langues italienne et française. C’était donc une société fort lettrée que celle de ces gentilshommes campagnards et de ces ministres de village avec lesquels Hume passait une partie de la belle saison ; les distractions de l’esprit étaient les seules qui fussent faciles et assurées dans la solitude du château ou du presbytère, et on s’explique aisément par