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ce concours de circonstances la prodigieuse activité littéraire dont un petit pays comme l’Ecosse fit preuve à cette époque.

Au nombre des correspondans de Hume était le philosophe Francis Hutcheson, à qui le jeune écrivain soumit en manuscrit la troisième partie de son Traité de la nature, humaine, celle qui traite de la morale et qui ne parut qu’après les deux autres. Hutcheson à son tour voulut avoir l’avis de Hume sur le traité de philosophie morale qu’il préparait et qu’il publia en latin en 1742. On ne saurait plus gravement différer que Hume et Hutcheson, et pourtant il est impossible d’imaginer rien de plus amical et en même temps de plus noble que la correspondance qu’ils entretinrent à propos d’ouvrages qui les mettaient à la fois en rivalité et en opposition. A côté d’Hutcheson, nommons encore Mure de Cadwell et James Oswald, qui devaient parvenir, le premier à une des grandes charges de judicature de l’Ecosse, le second à un rang politique élevé; Reid, le fondateur de l’école philosophique écossaise; le docteur Blair et le docteur Leechman, qui passait pour le rival de Blair dans la chaire; l’historien Robertson et enfin Adam Smith, beaucoup plus jeune que Hume, et que l’on peut regarder à bien des égards comme son élève.

La bibliothèque de l’ordre des avocats à Edimbourg possède une partie des notes prises par Hume sur ses lectures pendant son séjour à Ninewells. Ces notes, d’une extrême brièveté et presque sans aucun ordre, sont néanmoins curieuses à parcourir; elles attestent des lectures immenses et d’une singulière variété; elles montrent aussi que Hume, qui se proposait déjà d’écrire quelque grand ouvrage historique sans avoir encore fait choix de son sujet, s’attachait spécialement à recueillir dans les livres qu’il parcourait, soit anciens, soit modernes, tous les faits qui se rapportent à la législation, à la statistique, à l’économie politique, et qu’il était d’usage alors de regarder comme au-dessous de la dignité de l’histoire. Une grande partie des faits ainsi notés par Hume ont pris place dans quelqu’un de ses écrits; les autres se retrouvent dans le livre d’Adam Smith sur la Richesse des nations. Cette particularité légitimerait seule l’espèce de filiation que nous établissons entre Hume et Adam Smith; mais il en est d’autres que l’on pourrait invoquer. Smith avait dix-sept ans lorsque Hume, sur l’invitation d’un ami, lui adressa un exemplaire de son Traité de la nature humaine, et commença avec lui une correspondance qui dura toute leur vie. Beaucoup des opinions soutenues dans le grand ouvrage de Smith se trouvent déjà, soit explicitement, soit en germe, dans les Essais, et il ne semble pas douteux que Smith ait puisé dans les entretiens de Hume l’idée même de son livre. Toute la correspondance de celui-ci nous le montre empressé à communiquer à ses amis les renseignemens, les faits, les observations qu’il recueille dans ses lectures ou dans ses voyages, et qu’il croit