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péeLa conclusion montre que je suis un whig, mais un whig sceptique. » Hume n’épousait point en effet toutes les opinions des whigs du temps, dont la plupart, s’ils avaient été conséquens avec leurs propres théories, ne se seraient arrêtés qu’au républicanisme. Hume était au contraire partisan très décidé de la monarchie, et il ne perd aucune occasion de le montrer. Traversant la Hollande en 1748, aussitôt après la révolution qui y rétablit le pouvoir du prince d’Orange, voici le jugement qu’il consigne dans son journal : « Ce qu’on peut affirmer, c’est que la Hollande était incontestablement ruinée par sa liberté et qu’elle a aujourd’hui une chance d’être sauvée par son prince. Que les républicains, s’ils peuvent, fassent leur profit de cette leçon ! »

Ainsi Hume n’était pas jacobite. Entre le maintien des libertés de son pays et la conservation de la dynastie des Stuarts, son choix n’était pas douteux : il adhérait à la révolution de 1688; mais ce n’était pas une raison pour qu’il approuvât complètement l’espèce de servitude dans laquelle la haute aristocratie qui avait appelé Guillaume III tenait systématiquement la royauté, ni pour qu’il méconnût comme historien le rôle que la royauté anglaise avait joué dans le passé. Quand il publia son histoire, la constitution anglaise était fixée : outre l’enseignement éloquent qui résultait de deux révolutions, les dix articles imposés par l’aristocratie whig à l’acceptation de Guillaume d’Orange avaient tranché, contre la royauté, toutes les questions douteuses, et soixante ans de pratique non interrompue avaient consacré définitivement la suprématie du parlement. Transporter un siècle et surtout cent cinquante ans plus tôt cet état de choses, qui n’avait été fondé qu’au prix de luttes si acharnées, vouloir retrouver dans la grande charte la constitution anglaise dans tout son développement, et transformer les rois d’Angleterre en violateurs de la foi jurée, en oppresseurs des libertés publiques, c’eût été méconnaître la vérité historique et voilà ce qu’exigeait l’esprit de parti. Avec son bon sens calme et froid et sa complète absence de passion. Hume ne pouvait juger les actes des Tudors ou des Stuarts d’après les règles politiques applicables à la maison de Hanovre. «Quant à la politique, écrit-il au docteur Cléphane, et au caractère des rois et des grands personnages, je crois que je suis très modéré. Ma façon d’apprécier les choses se rapproche plus des principes des whigs, ma façon de peindre les personnes est plus conforme aux préjugés des tories; mais la plupart des hommes regardent plus aux personnes qu’au fond des choses, et rien ne le montre mieux que de me voir mis généralement au nombre des tories. » Nous croyons que Hume a résumé en ces quelques mots et la règle de ses jugemens et le meilleur argument qu’on puisse opposer à ses critiques.