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caractère, disciple ardente des idées nouvelles, bien qu’elle se défende d’être républicaine ou philosophe, a voué au jeune roi de Suède un culte passionné, et veut qu’il soit le héros de ses doctrines. Son affection est à ce prix. Amie sincère et dévouée, elle lui dit la vérité, l’éloigne du despotisme, l’encourage sévèrement dans le chemin de l’honneur, et refuse de lui accorder son portrait, s’il reçoit celui de Mme Dubarry. Gustave III répond d’abord à son sentiment exalté par une passion égale. Le jour même de son couronnement, il lui écrit une lettre de douze pages, le lendemain il porte ses couleurs, lilas et blanc; mais il paraît se fatiguer ensuite de son libre langage, et la correspondance finit tristement. Mme de La Mark pense fortement aussi, et peint avec éloquence les abus et les vices du temps. Mme de Boufflers enfin, avec un esprit moins élevé que Mme d’Egmont, avec une plume moins habile que Mme de La Mark, professe le même zèle pour le roi de Suède, et le seconde avec ardeur de l’influence considérable qu’elle exerce à la cour.

Forcé de vivre loin de Paris, où il laissait des amies si chères, loin de Trianon et de Versailles, où il s’était vu tant fêté, Gustave III avait du moins comme ambassadeur auprès de la cour de France un homme élégant et spirituel, à qui les délicatesses de l’esprit français étaient familières, un littérateur, un poète, le comte de Creutz. Les salons de l’ambassade suédoise réunissaient tous les beaux-esprits, et servaient de lien entre la France et le royal exilé. On y voyait la plus illustre compagnie, les plus riches ou les plus jolies femmes de Paris, Mme de La Mark, de Boufflers, de Luxembourg, de Lauzun, de Luynes, de Fitz-James, de Brancas. «Toutes ces dames, écrit sans façon le spirituel baron de Taube à Gustave III, ne vont point chez d’autres ambassadeurs, parce qu’elles n’aiment à vivre, disent-elles, qu’avec des gens aimables... Mme de Boufflers nous demanda l’autre jour si votre majesté choisissait les Suédois qu’elle laissait venir en France. »

Une première et maladroite inspiration avait, au commencement de 1776, suggéré à M. de Staël l’idée de s’engager dans les troupes anglaises pour aller faire la guerre en Amérique; il voulait alors se distinguer, acquérir de la gloire. Il réfléchit et s’aperçut facilement que c’était là le chemin le plus long et le plus périlleux, et que le plus sûr était de demeurer sous les yeux du roi, à Paris ou à Versailles, là où était son cœur, de l’y servir suivant ses goûts, et de s’élever en s’attachant à ce service.

Deux mois après le congé inutilement demandé par M. de Staël pour aller en Amérique, on le voit, dans la correspondance du comte de Creutz et dans celle de Gustave III, demander la place du baron Malte-Ramel, secrétaire d’ambassade à Paris. Il l’obtient. Le voilà