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un pied dans la diplomatie suédoise, c’est-à-dire dans les salons des Tuileries et dans les hautes sociétés parisiennes, dont il recueillera les confidences et les hommages pour les transmettre à son roi. « M. de Staël réussit admirablement, écrit le comte de Creutz dans sa correspondance particulière. La comtesse Jules de Polignac a pour lui la plus tendre amitié ; il est extrêmement bien avec toutes les femmes à la mode, comme Mme de Châlons, la comtesse Diane et Mme de Gontaud. Mme de Boufflers l’aime comme son fils, ainsi que Mme de La Mark. » Gustave, qui l’avait connu et goûté à Stockholm, le charge de mainte commission. Il achète pour le roi des livres, des gravures, des diamans, des parures brillantes ; il engage pour la scène suédoise, si brillante alors, « le sieur Marcadet, un des premiers sauteurs de l’Opéra. » Tout cela le mène à écrire directement au roi, dans la confiance et l’amitié duquel il fait de rapides progrès, et en même temps cela lui ouvre Versailles et l’introduit chez Marie-Antoinette. « J’ai remis vos cadeaux, sire, à Mmes de Boufflers et de La Mark… J’ai envoyé à votre majesté les dessins du Petit-Trianon que la reine m’a remis pour elle… » Il est bien vrai que l’ambassadeur de Suède mande à la même époque (avril 1779) que « le pauvre Staël est dans une situation qui fait pitié, à bout de toute ressource, et sans un son vaillant ; » mais c’est de la faiblesse que de désespérer de l’avenir. Les grandes dames avec lesquelles il communique familièrement aideront le petit Staël, comme elles l’appellent, auprès de son maître ; Marie-Antoinette va devenir sa protectrice, et, fort de toutes ces espérances, pendant l’année même où nous avons vu ses amis s’inquiéter de son lendemain, Staël aspire sans façon au plus opulent mariage et au poste le plus élevé de la diplomatie suédoise : il demande la main de la spirituelle et riche Mlle Necker et la survivance de l’ambassade suédoise à Paris !

Notre témoin pour tant d’audace, c’est lui-même. « Permettez, sire, écrit-il à Gustave le 27 juin 1779, que je réclame les bontés de votre majesté dans une affaire d’où dépend toute ma fortune. Votre majesté daignera se rappeler que j’ai eu l’honneur de lui dire que je comptais demander Mlle Necker en mariage, et que vous eûtes la bonté d’approuver ce projet[1]. À mon retour dans ce pays-ci, j’en fis la confidence à Mme de Boufflers, qui voulut bien sonder sur cet objet Mme Necker. Cette dame répondit à la comtesse de Boufflers qu’elle n’avait rien contre ma personne, mais qu’elle ne-pouvait se résoudre à se séparer de sa fille, ni à la donner à un homme sans existence dans ce pays-ci. Mme de Boufflers lui fit alors entendre

  1. Je ne retrouve malheureusement dans les papiers d’Upsal aucune trace de cette première idée, que M. de Staël communiqua peut-être au roi verbalement. Il eût été curieux de savoir quand fut conçu ce beau dessein.