On trouve souvent dans les villages russes de ces personnages qu’entoure une sorte d’auréole mystique, et qui passent pour être en rapport avec l’esprit de Dieu. A Staradoub, la marraine de Lisaveta était regardée comme une sainte; on ne parlait d’elle qu’avec une crainte respectueuse. Sa dévotion ascétique, ses fréquentes extases, justifiaient la réputation qu’on lui avait faite. A peine la fille du starovère eut-elle prononcé le nom de sa marraine, que le front du vieillard s’éclaircit. Il lui sembla reconnaître dans le désir exprimé par Lisaveta une inspiration du ciel. — Ne remettons pas à demain ce qui peut se faire aujourd’hui, dit-il; allons tout de suite là où nous appelle le Seigneur.
A quelques centaines de pas du village, l’église de Staradoub, bel édifice en briques entouré d’un mur d’enclos à hauteur d’appui, couronne une petite colline. Adossée contre l’église, une chétive isba dresse son humble toit à peine à la hauteur du mur d’enceinte. Cette demeure, composée d’une seule chambre divisée en deux parties, a été de tout temps réservée à la prosvirnitsa; c’est ainsi que dans les villes et villages russes on appelle une boulangère spécialement attachée à l’église, et chargée de confectionner les petits pains qui servent à la communion des fidèles. A l’époque où se passe notre récit, l’emploi de prosvirnitsa était précisément confié à la marraine de Lisaveta. Née dans le village, elle l’avait quitté au sortir de l’enfance pour habiter un des couvens de la secte des starovères. Mariée ensuite par la volonté de son père, elle avait suivi son époux dans un gouvernement éloigné. Ayant perdu successivement son mari et son fils unique, elle était revenue vivre à Staradoub près de sa parente, la mère de Lisaveta. Pendant longtemps, elle avait concentré toute son affection sur la femme du starovère et sur ses deux enfans; puis, la mère de Lisaveta étant morte jeune, elle avait désiré vivre dans la retraite, et l’emploi de prosvirnitsa lui avait permis de consacrer à la prière et à la méditation les jours qu’il lui restait à passer sur la terre. La recluse, car c’est ainsi qu’on la nommait dans le village, était vantée non-seulement pour sa piété, mais pour ses connaissances médicales. On venait de tous les environs visiter la cellule d’où elle ne sortait jamais, et les malades, les affligés en rapportaient toujours d’utiles conseils ou de précieuses consolations.
La cabane de la prosvirnitsa n’était séparée du petit bois voisin du village que par un modeste enclos où la veuve cultivait quelques simples, et où des abeilles bourdonnaient autour d’une couple de ruches. La recluse pouvait donc respirer les senteurs de la forêt sans quitter son jardin. Elle passait presque toutes ses soirées assise sur un banc rustique, le chapelet à la main et les yeux fixés au ciel.