Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avait gardée pour son usage et celui de sa majestueuse épouse.

Le lendemain matin, la porte de la prosvirnitsa était assaillie de femmes qui venaient lui demander des conseils et des remèdes. Comme la recluse était trop infirme pour se rendre elle-même chez les malades, ce fut Lisaveta qui demanda avec instance et obtint la permission de la remplacer. La première auprès de laquelle la pokritka eut à remplir ses pénibles fonctions fut l’envieuse Varvara. Faut-il raconter tous les douloureux spectacles qu’eut à contempler la fille du starovère, depuis l’agonie de cette malheureuse femme jusqu’aux mille scènes douloureuses où elle intervint comme consolatrice, tantôt sous le toit du riche, tantôt sous le chaume du pauvre? Bornons-nous à dire que nulle part on ne reprocha à la pokritka sa coiffure fermée, et personne ne chercha sur cette main secourable l’anneau de mariage absent.

Un mois se passa pour Lisaveta en des luttes vaillamment supportées, en des fatigues, en des travaux incessans. Enfin une diminution sensible de l’épidémie sembla ouvrir à la jeune femme une perspective moins sombre et lui promettre, avec le repos, la reconnaissance d’une population jusqu’alors indifférente ou hostile. Le jour même où cet espoir s’offrait à Lisaveta, elle traversa la place où se tenait autrefois le conciliabule féminin dont nous avons reproduit quelques causeries. Le soleil baissait quand elle passa sur cette place redoutable. Quelques rares matrones pâles et défaites y siégeaient seules, et ce fut un murmure de bénédictions qui l’accueillit. Au moment d’entrer dans la cabane de la recluse, après s’être dérobée aux remerciemens des matrones, elle s’arrêta pour respirer la fraîche brise qui lui apportait les salubres senteurs de la forêt. Il y avait du calme et du repos dans l’air, et les étoiles, apparaissant une à une sur le firmament, semblaient la caresser de leurs regards étincelans. Cependant, en entrant dans l’isba, elle fut frappée du silence solennel qui y régnait. La première chambre était vide; elle passa dans le réduit, qui n’en était séparé que par une cloison, espérant y trouver sa marraine debout devant les images. Elle la vit en effet prosternée le front sur le plancher. Inquiète de son immobilité, elle voulut la relever. L’âme de la sainte femme avait quitté la terre, et son corps inerte et glacé échappa aux bras trop faibles de Lisaveta. — Morte ! s’écria la pokritka, morte ! mon unique amie, mon seul soutien ! — Appuyant alors sa tête sur cette poitrine où le seul cœur qui l’eût comprise avait cessé de battre, la jeune femme ferma les yeux et pensa mourir.

Quand elle revint à elle, elle s’imagina avoir été transportée dans le paradis de ses rêves. Elle se vit dans sa chambrette, entourée de tous les objets familiers à sa vue. Un air doux et frais entrait par la