Auprès des émotions de cette nuit, qu’étaient toutes les fatigues des jours précédens? Quand je fus de retour à Brownsville, une foule d’habitans vinrent me questionner sur tous ces événemens. Leur curiosité m’irritait. « Qu’avez-vous fait pendant six mois, disais-je aux Américains, pour vos compatriotes prisonniers? qu’avez-vous fait pour les sauver, ou du moins pour adoucir leur sort? C’est un catholique, un prêtre français, qui seul est allé les voir. » Sensibles à ces reproches, ils voulurent se venger d’Avalos; ils le pendirent en effigie, ainsi que Manchaca, auditeur de guerre, son conseiller. La potence fut dressée sur la rive, en face de Matamores; les deux mannequins furent promenés pendant trois jours sur des ânes, suivis d’une mascarade de circonstance et d’un affreux tintamarre; le troisième jour, on les pendit avec de grands applaudissemens.
Avalos avait pu voir son effigie se balancer au gré du vent. Il se fâcha, et l’on sentit bientôt les effets de sa colère. Une bande d’Indiens, venant du Mexique, fit tout à coup de grands ravages sur les rives texiennes du Rio-Grande, depuis Galveston jusqu’à Santa-Rita. Le bateau à vapeur le Comanche fut attaqué plusieurs fois, comme il remontait à Rio-Grande-City. Chaque jour, on apprenait de nouveaux assassinats. On rassembla à la hâte quarante hommes de bonne volonté, qui marchèrent contre les Indiens sous le commandement d’un Yankee d’une force herculéenne, mais d’une bravoure douteuse. A la première rencontre, les quarante volontaires prirent la fuite. On sut cependant quelle était la main qui poussait les Indiens. Les autorités américaines firent à Avalos de vertes remontrances et de sérieuses menaces. Avalos dut envoyer un bataillon contre les Indiens, qui se rendirent sans coup férir et se laissèrent mener à Matamoros. On leur assigna près de la ville un champ où ils s’installèrent tranquillement. C’étaient les gens les plus doux du monde. Ils étaient d’une grande stature, avaient le teint cuivré et rougeâtre. Chaque famille portait un tatouage différent. Ils n’avaient qu’une serviette pour tout vêtement. J’ai vu leurs enfans âgés de huit ou dix ans percer d’une flèche une pomme placée à cinquante pas, quelques-uns touchaient même à cette distance de petites pièces de monnaie. Au bout de plusieurs mois, on leur permit de s’en retourner, et personne depuis n’en a entendu parler.
Au mois d’août 1852, Matamoros reçut la visite d’un haut fonctionnaire du gouvernement mexicain, don Emmanuel Robbles, ministre de la guerre et de la marine. Il venait se rendre compte des besoins militaires des frontières. Comme j’avais formé un projet pour l’amélioration morale de ces mêmes contrées, je me fis présenter à lui par le consul mexicain de Brownsville. Je lui dis que j’avais trouvé sur les rives du Rio-Grande une population considérable, peu