malheureux, et il ne me restait plus qu’à m’acquitter, avec l’aide d’un excellent prêtre mexicain, don Raphaël, de la terrible mission de les assister à ce moment suprême. La chambre qui leur servait de prison fut de nouveau convertie en chapelle; on construisit un autel avec une table. Les journaux de la Nouvelle-Orléans ont dit que j’avais essayé, pour faire évader les prisonniers, de pratiquer un trou dans le mur en me cachant sous l’autel. C’eût été impossible; les draperies de l’autel furent constamment tenues relevées, j’étais entre deux sentinelles, et deux compagnies de lanciers, le mousquet au poing, se tenaient l’une en face de la porte, l’autre derrière le mur où s’adossait l’autel. Je me bornai à accomplir mes graves devoirs.
Le lendemain dimanche, à quatre heures du soir, le saint viatique fut porté aux prisonniers catholiques. Les rues où il passa étaient jonchées de rameaux et de verdure, des draperies flottaient aux fenêtres. Le cortège quitta l’église, précédé d’une musique militaire qui jouait des airs funèbres, et le peuple suivait en priant à haute voix. En les entendant approcher, mon cœur se serra, je me sentis défaillir; les prisonniers, agenouillés près de moi, pleuraient et priaient avec moi. Don Raphaël entra, portant le saint-sacrement; ils se jetèrent au-devant de lui, et saisirent la pyxide, demandant grâce d’une voix déchirante; ils se calmèrent avec peine; les prières pour les agonisans furent récitées, et les condamnés catholiques reçurent la communion. Une demi-heure après eut lieu la collation de la mort. Aucun de nous ne put manger. Les uns, roulant des yeux hagards, murmuraient des mots sans suite; d’autres restaient muets, le regard attaché à la terre. De temps en temps, un des plus jeunes laissait échapper un sanglot sourd et violent, ou poussait un cri en se tordant les mains. Vers deux heures du matin, quelques condamnés témoignèrent le désir de se reposer un instant; j’arrangeai nos habits en forme de coussins où ils placèrent leur tête. L’exécution était pour sept heures. Au lever du jour, je me rendis à l’église, voulant dire une messe pour les condamnés; mais l’église était fermée, je dus aller chercher les clés chez le curé. Là, j’appris que l’heure fatale était avancée. Je revins en toute hâte à la prison; il était déjà trop tard. Je courus au lieu du supplice; comme j’approchais, j’entendis une horrible décharge, puis une seconde. Ils étaient morts!
On plaça les cadavres sur le tombereau qui devait les porter au cimetière. Seul, à pied, recevant la pluie qui tombait en abondance, je marchai derrière la charrette qui dégouttait de sang. Le cimetière était éloigné de deux milles; quand j’arrivai, toutes ces émotions m’avaient brisé, je ne pouvais plus me soutenir; je n’eus pas même la force de m’agenouiller et de prier sur leur tombe entr’ouverte.