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tenté de railleries querelles des nominalistes et des réalistes, et l’on se pose involontairement leur vieille question : est-ce un mot, un simple flatus vocis ? est-ce un être existant par lui-même ? Cette question en entraîne infailliblement une autre plus importante : ce caractère national est-il une pure généralisation, un résumé collectif, une synthèse embrassant a posteriori toute une série de faits, ou bien existe-t-il dès l’origine et se trouve-t-il a priori chez les nations ? Est-ce une force simple, une monade active qui, féconde par elle-même, crée un ordre particulier de faits, ou bien se forme-t-il par agrégation et affinité lente et successive d’actes accomplis dans un milieu déterminé pendant un certain laps de temps ? Chacun peut répondre à cette question, selon qu’il penche vers la croyance à un plan divin d’après lequel une tâche particulière aurait été assignée à chaque peuple, ou selon qu’il considère l’histoire comme un enchaînement de faits empiriques se poussant les uns les autres par le simple effet de rapports de succession dus à un hasard fatal. Les deux opinions sont peut-être également vraies, car le caractère des nations se présente à la fois comme force créatrice et comme forme ou revêtement des actes créés ; mais la plus digne d’attention est celle qui considère le caractère national comme existant à priori.

S’il est difficile de déterminer l’essence de cette âme nationale, demi-abstraction, demi-réalité, il est bien plus difficile encore de décrire ses traits. La vie a une logique qui n’est pas celle de nos pédantesques méthodes ; elle aime la simplicité, mais une simplicité féconde et non mathématique ; elle aime les contrastes, ses combinaisons sont infinies, d’un même principe elle sait faire jaillir des conséquences contradictoires. Aussi est-il très difficile de déterminer rigoureusement quels sont les traits principaux d’un caractère national, sans s’exposer à recevoir un démenti formel de quelque fait inattendu ou ignoré. Les exceptions sont même quelquefois tellement nombreuses, qu’elles dépassent la règle générale. « Parlez tant que vous voudrez de peuples et de siècles auxquels le don de la poésie a été refusé, disait naguère un des plus subtils analystes de ce temps-ci, et un jour il plaira à la nature de faire naître Pindare en Béotie et André Chénier au XVIIIe siècle. » Il en est de même de tout caractère national. Déclarez, par exemple, que l’esprit anglais est pratique avant tout, prosaïque par conséquent et amoureux de l’utile : on vous répondra qu’il serait presque aussi vrai de dire que l’esprit anglais est essentiellement poétique, car les plus grands hommes de l’Angleterre ne sont pas James Watt et Arkwright. Le peuple anglais est doué d’une grande force de volonté, c’est là un fait généralement reconnu ; mais un observateur qui n’est pas préoccupé de se conformer aux opinions reçues remarque bien vite que la force d’imagination est pour le