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en dépit de ses instincts serait obligé de faire ce qu’on fit au siège de Saragosse, où, la ville une fois enlevée, il fallut faire le siège de chaque rue, de chaque maison, de chaque étage.

Le fond de la langue anglaise n’est point celui que supposait Beaumarchais ; il se compose de deux monosyllabes, oui et non ; le oui ne se fait jamais attendre, et le non ne recule jamais. Une fois que l’un ou l’autre de ces monosyllabes est prononcé, les Anglais agissent avec une outrance désormais invariable. Si ce mot prononcé est oui, alors vous voyez se produire une obéissance de tous les instans, un amour sans caprices, un dévouement excessif ; si c’est non, ce sont des haines opiniâtres et irrévocables. Il y a un mot biblique qui revient souvent dans leurs livres et dans leurs discours et qui exprime bien le fond de leur caractère : « Son amour et sa haine étaient tenaces comme le sépulcre et forts comme la mort. »

L’Anglais ne se soumet donc aux faits que proportionnellement pour ainsi dire, et selon qu’ils répondent plus ou moins à ses instincts ; mais comme tous les faits qui se produisent dans le milieu ambiant où il respire n’ont rien qui lui soit essentiellement contraire, la soumission se trouve plus forte que la résistance, et l’indépendance anglaise, au lieu d’avoir à s’attaquer à des ennemis véritables, n’a plus qu’à s’attaquer à des détails. De là les délicates nuances de la vie politique et religieuse anglaise, qui sont si difficiles à saisir pour des yeux étrangers habitués aux couleurs tranchées. Les Anglais discutent sur d’imperceptibles détails, et les questions sur lesquelles ils se divisent sont quelquefois tellement subtiles, qu’on peut dire sans paradoxe que chez d’autres peuples elles formeraient au contraire des points de contact. Cas de conscience, querelles de ménage, légers dissentimens domestiques, voilà les ressources qui restent à cet esprit d’indépendance absolue. Ce que l’on appelle sur le continent excentricité anglaise ne provient pas d’autre chose que de cette indépendance qui, n’ayant jamais trouvé autour d’elle un motif puissant de protestation, a pris l’habitude de s’attaquer aux détails. L’Anglais se conforme aux mœurs générales et ne s’en sépare que sur un point presque imperceptible. Plus imperceptible est cette dissidence, et plus l’excentricité paraît étrange. Il faut qu’ils soient dissidens sur quelque point ; il faut qu’ils aient un soupirail, quelque étroit qu’il soit, par où leur âme puisse respirer. bienfaisante nature, voilà donc à quels exercices modestes tu as amené par le cours du temps l’anarchique indépendance et la farouche liberté des anciens pirates Scandinaves et des guerriers barbares !

Donc cette concordance des institutions nationales avec les instincts populaires, en gênant l’indépendance sans la détruire, produit ce qu’on appelle excentricité. Empêchée et comme emmaillottée par