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cause n’appartiennent ni à la religion hindoue, ni à la religion musulmane. Ce fut en 1793 que lord Cornwallis réunit en code les diverses ordonnances (regulalions) promulguées jusqu’à lui, et ce code, complété au jour le jour, forme aujourd’hui la législation criminelle en vigueur dans l’empire de l’Inde. Il faut remarquer toutefois que le gouvernement de la compagnie s’est trouvé à plusieurs reprises en face de crimes extraordinaires, tels que le thuggisme, le suttee, les dacoïts, et que dans l’intérêt de la chose publique, il a dû souvent s’écarter des formes judiciaires consacrées et avoir recours à des moyens sommaires. Encore aujourd’hui l’administration de l’Inde compte des magistrats spéciaux chargés de poursuivre et d’extirper l’abominable secte des thugs. Le code criminel de l’Inde ne saurait être taxé de sévérité, et n’est à vrai dire qu’un mélange des lois natives et des lois anglaises, mélange où les premières ont perdu toute leur cruauté primitive. Il punit le meurtre de la peine capitale ou de la transportation. Le dacoït, le faux, le parjure, le crime de la fabrication de fausse monnaie, entraînent au maximum la peine de seize ans de prison. La peine de la marque au front, empruntée des lois natives, fut conservée dans le code anglo-indien jusqu’en 1832, époque où elle en fut rayée par lord William Bentinck. Les punitions corporelles, si elles sont encore tolérées dans le domaine de la compagnie, ne sauraient être appliquées que par exception et presque exclusivement dans les cas où il est désirable de soustraire un condamné trop jeune à la contagion de la geôle.

On voit quelles vastes connaissances un juge indien doit posséder pour être à la hauteur de sa mission. Ce n’est pas assez pour lui d’être maître de la loi hindoue et de la loi musulmane, d’avoir étudié à fond la législation anglaise et le code de la compagnie : il faut encore qu’il soit assez versé dans les idiomes indigènes pour pouvoir, sans l’aide d’un interprète, diriger des débats souvent très compliqués. De plus, le juge de l’Inde n’est pas entouré, comme le juge d’Europe, d’un barreau loyal et éclairé; le plus souvent les parties sont représentées par des agens ignorans et corrompus qui ne peuvent ou ne veulent, dans bien des cas, exposer en termes clairs l’affaire en litige. Enfin, dernière et plus grave de toutes les difficultés qui hérissent la carrière du juge indien, les habitudes de mensonge des natifs ne lui permettent d’accepter les dépositions des témoins qu’avec la plus grande réserve. L’axiome que toute déposition doit être a priori supposée vraie est surtout faux dans l’Inde, et la seule règle de conduite que puisse s’imposer celui qui préside aux débats, c’est que les faits ne mentent pas. Les dimensions que le faux et le parjure atteignent dans l’Inde dépassent toute conception, et jusqu’ici malheureusement il faut reconnaître que les mesures prises par le gouvernement pour porter remède à ce déplorable état de choses