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Au-dessus du collecteur, la hiérarchie anglo-indienne place le juge. C’est après dix-huit ou vingt ans de service, c’est-à-dire de trente-huit à quarante ans d’âge, que l’officier civil de la compagnie est appelé à ces hautes et difficiles fonctions. On n’imagine guère quels obstacles le juge indien rencontre dans l’accomplissement de sa mission protectrice. Ce fut en 1772 que Warren Hastings reçut de la cour des directeurs l’ordre de préparer, en se conformant autant que possible aux usages établis, un projet de constitution gouvernementale et judiciaire pour l’Inde. Ces documens servirent de base à la charte octroyée par le parlement à la compagnie en 1773. Sous les empereurs de Dehli, les prescriptions du Coran ne composaient pas exclusivement la législation en vigueur dans le vaste empire de l’Inde. Dans les cas criminels, les Fouzdary[1] servaient de guide au juge; dans les affaires civiles où l’une des parties était mahométane, l’on appliquait la loi du Coran, mais si aucun vrai croyant n’était engagé dans l’affaire en litige, le juge appliquait généralement dans sa sentence les prescriptions de la loi hindoue. Le traité de cession signé entre les Anglais et le descendant de Timour ne contenant aucune stipulation en faveur du maintien de la suprématie mahométane, le parlement crut faire à la fois acte de bonne politique et de justice en rétablissant l’égalité devant la loi civile parmi la population native du domaine indien. Il fut donc admis que les Anglais seraient soumis à la loi anglaise. Quant aux natifs, dans les cas où les deux parties appartiendraient à la même religion, on décida que l’affaire serait jugée conformément à la loi de cette croyance; mais si les deux parties professaient des cultes différens, il fut résolu que la sentence serait portée suivant les termes de la loi de la partie défendante. Les difficultés de ce système de législation mixte se révélèrent bientôt; des affaires se présentèrent où un juge imbu des idées libérales de la civilisation européenne ne put sans rougir appliquer une loi qui, comme la loi hindoue, est inspirée du plus violent esprit de fanatisme religieux. Une autre difficulté capitale que rencontrèrent les législateurs anglais chargés de compléter l’édifice légal de l’Inde, ce fut la question de savoir quelle loi serait appliquée à la population nombreuse et flottante des Juifs, Parsis et Arméniens. Aux premiers jours de la conquête, leurs différends étaient jugés tantôt conformément aux prescriptions de la loi anglaise, tantôt conformément aux termes de la loi hindoue ou de la loi mahométane, souvent même enfin d’après les termes de la loi des parties engagées. De là un chaos judiciaire auquel il fut porté remède tout récemment par un décret qui ordonne d’appliquer dans le domaine de l’Inde la loi anglaise aux cas civils où les ayant-

  1. Code criminel établi sous les empereurs de Dehli.