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fouler la terre, c’est déroger. Cette définition ne s’accorde pas précisément avec les discours de M. de Serres; mais qu’importe? C’est un caprice de peintre qui a du moins le charme de l’imprévu, et d’ailleurs ce caprice se comprend d’autant mieux que M. de Lamartine, secrétaire d’ambassade à Naples, en congé à Paris, était chargé d’initier M. de Serres, nommé ambassadeur, aux récentes révolutions d’Italie.

Après les portraits de MAI. Laine et de Serres, je n’ai pas grand’chose à mentionner. Les signes imaginés par le peintre pour caractériser ses modèles sont tellement indécis, qu’ils demeurent à peu près inutiles. M. Thiers, dont la voix n’est ni mélodieuse ni sonore, discute les questions et tient à mettre l’auditoire au fait. M. de Lamartine l’admire avec une sorte d’étonnement : ce n’est pas là ce que j’appellerai un trait indécis; mais en parlant de M. Guizot, de M. Barrot, il n’est pas tout à fait aussi clair. M. Guizot est caractérisé par son nom. Quant à M. Barrot, il représente l’universalité. Est-ce une ironie, est-ce un compliment? Pour ma part, je n’en sais rien, mais j’avouerai humblement que M. Barrot ne s’était pas révélé à moi comme un esprit encyclopédique. J’ai toujours rendu justice à l’élévation de son talent. Quant à l’universalité de son intelligence, je n’ai pas été assez pénétrant pour la découvrir. Il m’a semblé qu’il disposait d’un certain nombre de principes assez vrais, assez libéraux, mais qu’il éprouvait quelque embarras quand la discussion l’amenait sur le terrain des faits. Me suis-je trompé? La raison et la vérité sont-elles du côté de M. de Lamartine? Ce n’est pas à moi qu’il appartient de le décider.

Je ne veux pas insister cependant sur l’histoire de la tribune française, car on m’accuserait à bon droit d’abuser de l’évidence. Le peintre a mis tant de fantaisie dans ses portraits, que les modèles sont difficiles à reconnaître. Il me paraît plus expédient d’appeler l’attention du lecteur sur quelques figures du siècle dernier dessinées en traits hardis et nouveaux. On pensait jusqu’à présent que le style de Jean-Jacques Rousseau était plus laborieux que celui de Voltaire. M. de Lamartine est d’un autre avis. Il voit dans Voltaire le grand monétisateur de l’esprit humain. Nous ne le chicanerons pas pour un barbarisme de plus ou de moins : il est habitué à ne reculer devant aucune témérité; quand la langue lui résiste, il la meurtrit sans pitié; mais il fait de Rousseau un écrivain spontané, et vraiment on est tenté de croire qu’il n’a jamais lu une page de l’Emile ou de la Nouvelle Héloïse. Chose étrange, après avoir vanté le style de Jean-Jacques comme naturel et involontaire, il le compare au style de Platon. Or les lecteurs du Phédon ou du Timée n’ont jamais pensé que Platon fût un écrivain spontané. Il était réservé à M. de Lamar-