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de ne rien étudier. On garde une plus grande liberté d’allure, on n’est pas arrêté à chaque pas par des souvenirs importuns. Les critiques ordinaires qui connaissent le Corrège et l’Albane n’oseraient les rapprocher. M. de Lamartine, qui sans doute les ignore tous deux, ne montre pas tant de timidité. Nous pouvons maintenant nommer les aïeux de M. Alfred de Musset ; c’est une découverte inattendue.

Pour compléter le tableau de la littérature contemporaine, M. de Lamartine parle avec une prédilection marquée des orateurs qui ont illustré la tribune française. On pouvait, on devait croire qu’il se trouverait plus à l’aise sur ce nouveau terrain, car personne n’a jamais mis en doute le talent oratoire du nouvel historien de notre littérature. Malheureusement le désir d’écrire des mots à effet l’a entraîné bien loin de la vérité. En parlant de la restauration, il avait déjà essayé le portrait de Royer-Collard, et ses plus fervens admirateurs sont obligés d’avouer qu’il n’avait pas réussi. Il revient à cette grande figure, et j’ai le regret de dire que la seconde tentative n’est pas plus heureuse que la première. Il voit dans Royer-Collard un homme philosophe par nature, orateur par réflexion, et il ajoute que les discours de l’orateur philosophe ne se comprenaient qu’à la seconde, et souvent même qu’à la troisième lecture ; aveu que nous devons enregistrer, mais qui ne révèle pas chez l’historien une grande puissance d’attention, car les discours de Royer-Collard se recommandent tout à la fois par l’élévation des idées et la clarté du langage. Il est vrai qu’il ne se complaît pas dans les lieux communs, mais ce n’est pas une raison suffisante pour l’accuser d’obscurité. Sous la plume de notre historien, M. Lainé devient une figure antique, non pas de celles qui se trouvent dans Plutarque, mais une figure détachée d’une page de Tacite. M. de Lamartine a choisi Tacite pour son parrain et donne à entendre en toute occasion qu’il le préfère à tous les autres modèles. C’est de sa part une admiration bien désintéressée, puisqu’il n’a jamais imité la concision de son parrain. A l’égard de M. de Serres, l’admiration de M. de Lamartine se conçoit plus aisément, si l’on consent à prendre au sérieux la définition du modèle. M. de Serres serait le plus lyrique de tous nos orateurs, et M. de Lamartine veut être avant tout un orateur lyrique. Au premier aspect, cette définition est inoffensive ; mais si l’on prend la peine de l’approfondir, on ne tarde pas à découvrir qu’elle proscrit l’étude technique des questions. Un orateur lyrique méprise les chiffres ou les assouplit. Tout ce qui touche à la matière l’effarouche, comme la boue effarouche l’hermine. Il craindrait de souiller sa pensée en descendant jusqu’aux vulgaires intérêts dont se compose trop souvent la vie des nations. Pour lui, vivre c’est planer ;