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son à Lessing, et l’exemple des grands historiens de l’antiquité confirme sa théorie; Hérodote et Thucydide, Xénophon et Polybe, Salluste et Tacite ont raconté leur époque. Si le titre d’historien doit être réserve de préférence non pas aux investigateurs du passé, mais aux écrivains qui furent les témoins et les juges de leur temps, combien de qualités sont nécessaires à celui qui brigue une telle place! Quelle élévation de pensées pour dominer l’ensemble des faits! quelle sûreté de jugement pour garder les proportions exactes et mettre chaque chose en son lieu ! Il faut surtout savoir choisir; tel événement doit être mis en lumière, tel autre rejeté dans l’ombre. Accorder la même importance à tous les épisodes, c’est rédiger un catalogue, ce n’est pas composer un tableau. M. Schmidt-Weissenfels a-t-il bien réfléchi à toutes ces conditions de son sujet? Je ne le pense pas. Il est plein de bonne volonté, il est animé des intentions les plus honnêtes, il a du savoir et de l’esprit, mais son œuvre n’est pas suffisamment méditée. Il confond les écoles, il brouille les rangs, ou bien il établit des rapprochemens impossibles. Les noms les plus dissemblables sont associés de vive force, des parallèles inattendus produisent une confusion inouie.

Mortua quin etiam jungebat corpora vivis.

Le tableau de la poésie lyrique serait un des meilleurs de l’ouvrage, si l’auteur n’avait trop multiplié les noms propres; à côté de MM. de Lamartine, Victor Hugo et Alfred de Musset, on est tout surpris de rencontrer des noms parfaitement inconnus de ce côté-ci du Rhin. Le second volume, qui traite de l’histoire, de la philosophie et de la presse, est bien préférable au premier. J’aurais encore à y relever d’étranges bévues; je pourrais demander à l’auteur quels rapports il aperçoit entre les doctrinaires de la restauration et les socialistes de 1848; j’aurais bien des jugemens à redresser, mais il faudrait, pour être juste, signaler des aperçus ingénieux, des portraits dessinés avec soin, et surtout une inspiration généreuse qui réjouit l’âme du lecteur. M. Schmidt-Weissenfels est digne d’entendre des conseils sincères. Nous aurions mal répondu aux éloges qu’il nous donne, si nous lui avions déguisé la vérité. Cet ouvrage, qui est, si je ne me trompe, le début de l’écrivain, atteste une juvénile exaltation; M. Schmidt a foi dans les destinées du XIXe siècle, il aime son époque et voudrait la diriger vers le bien. Qu’il se défie donc des à-peu-près, qu’il s’accoutume à voir les choses avec netteté; il refera un jour ce livre, et saura en tirer des enseignemens salutaires. Je me fie pour cela à l’écrivain qui prononce en terminant ces ardentes paroles sur les devoirs de la presse : « Si nous voulons le triomphe de la dignité humaine, n’oublions pas que la presse est le temple d’où sortira un jour la royauté de l’esprit. Purifions-le donc, chassons-en les vendeurs, les trafiquans, les âmes basses et vulgaires. Qu’elle soit la citadelle de notre foi, une cathédrale de marbre et d’or, un autel d’où retentiront les paroles saintes, et que serviront des gens de cœur ! » C’est à nous que s’adressent ces exhortations; ne sont-elles pas un éloquent témoignage de la sympathie cordiale avec laquelle l’Allemagne suit le développement de la France?


SAINT-RENE TAILLANDIER.


V. DE MARS.