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au XIVe siècle, de Milton au XVIIe, on ne trouve pas la trace d’Alighieri sur la terre de Shakspeare jusqu’à l’époque récente encore où le moyen âge l’est devenu comme chez nous l’objet de maintes investigations. L’Allemagne a commencé plus tard que la France à s’occuper du poème de Dante ; si le traité de Monarchia y est publié et traduit en 1559 et en 1566, la première mention de la Divine Comédie n’apparaît qu’au XVIIe siècle, dans une note d’un drame de Gryphius, Papinien mourant, où le XIIe chant de l’Enfer est traduit en partie. Vers le milieu du XVIIIe siècle, l’ardent novateur Jacques Bodmer demande aux écrivains de son temps une interprétation de la Divine Comédie ; mais les esprits sont mal préparés à cette tâche, les exhortations du critique ne produisent que les médiocres ébauches de Meinhard et de Bachenschwanz, et il faut attendre les fragmens de Dante si bien traduits par Wilhelm Schlegel (1795) pour voir s’ouvrir ce mouvement d’études qui ne se ralentit pas depuis soixante ans. L’exemple de Schlegel inspire de studieux disciples ; en même temps que Gries, l’infatigable représentant des littératures romanes en Allemagne, reproduit de si belles copies d’Arioste, de Tasse et de Calderon, M. Kannegiesser donne à ses compatriotes la première traduction sérieuse de la Divine Comédie (1809).

C’est donc à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe que les contrées savantes de l’Europe s’associent au long travail de l’Italie sur la trilogie dantesque. On dirait qu’un concours s’est ouvert : chaque peuple y apporte les qualités qui le distinguent. Tandis que l’Italie cherche dans ces études des inspirations patriotiques, la France, avec M. Fauriel et M. Villemain, y déploie sa netteté d’esprit, son goût de la beauté littéraire, et l’Allemagne, sous l’influence de Schlegel, sa laborieuse érudition. Il ne faut pas oublier l’Angleterre ; elle a provoqué les études d’Ugo Foscolo, elle a accueilli et encouragé Rossetti, elle a elle-même des critiques (M. Barlow, par exemple) qui, en examinant le texte de Dante, ont rivalisé d’exactitude avec les érudits d’Allemagne[1] ; enfin elle a donné des traductions qui, pour la fidélité, la force et la souplesse, sont peut-être supérieures à tout ce qu’ont produit les autres pays de l’Europe. N’est-ce pas d’elle aussi que nous viennent ces pages où l’un des penseurs les plus originaux de notre époque a pénétré si vivement dans le cœur d’Alighieri ? Thomas Carlyle a placé le Florentin dans ce petit groupe de héros qui représentent pour lui l’histoire entière du monde ; entre

  1. Je signalerai entre autres un écrit de M. Barlow sur le 59e vers du Ve chant de l’Inferno, Remarks on the reading of the fifty-minth of the fifth canto of the Inferno, 1850. L’importante discussion soulevée en 1836, à propos de ce vers, par M. l’abbé Federici à Milan, et qui a tant occupé les critiques d’Italie et d’Allemagne, a été résumée et close par M. Barlow.