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les prophètes et les prêtres, le poète de la Divine Comédie est dessiné et peint en traits de flamme[1].

Je voudrais résumer les plus récens travaux de cette littérature de Dante, comme on dit au-delà du Rhin. Il y a eu depuis trente ans maints résultats considérables ; j’essaierai de les dégager avec précision et de les mettre en lumière. Bien que réduite à cette période, la matière est immense ; je m’attacherai aux points essentiels. En Italie, M. Cesare Balbo, M. Arrivabene, M. Troya, M. Fraticelli ; en Allemagne, M. Charles Witte, M. Franz Wegele, M. Emile Ruth, l’historien Schlosser, et le prince qui occupe aujourd’hui le trône du royaume de Saxe ; en Angleterre, M. Thomas Carlyle, M. Cary, M. Barlow ; en France, M. Fauriel, M. Villemain, M. Ampère, M. Ozanam, M. Lamennais, sans compter des traducteurs habiles, voilà les hommes qui ont pénétré le plus avant dans l’intelligence du vieil Alighieri. Je n’ai pas cité le nom d’un commentateur qui, en renouvelant à un point de vue tout opposé l’erreur de Rossetti, a fait de Dante un socialiste. Cet épisode, en un tel tableau, n’est pourtant pas aussi bouffon qu’il paraît l’être, et le livre de M. Aroux, en dépit de l’auteur, nous aidera à mieux faire comprendre la saine et puissante originalité du Florentin. J’entre en matière sans plus tarder. Au milieu de tant d’explications, à travers ces conjectures hasardeuses et ces découvertes précises, deux sujets distincts fournissent une division naturelle à notre étude : d’abord la vie de Dante, sa vie politique, morale, littéraire, et dans cette vie si tourmentée, ses opere minori, qui sont le commentaire de ses pensées et la préparation de son œuvre ; puis cette œuvre elle-même, le poème qui résume, qui transfigure magnifiquement le drame réel et mystique de sa vie, la Divina Commedia.


I

L’enfance et la jeunesse de Dante n’offraient pas aux commentateurs de difficultés spéciales. Les renseignemens fournis au XIVe et au XVe siècle par Boccace, par Jean Villani, par Léonard d’Arezzo, et résumés au XVIIIe par Pelli, forment le fond de toutes les biographies modernes. Le grand événement de ces juvéniles années, c’est la rencontre du fils de donna Bella, âgé de neuf ans à peine, avec cette gracieuse enfant, Béatrice Portinari, qui sera un jour dans la vision du poète le symbole de l’amour, l’archange de la contemplation. Boccace raconte l’histoire en chroniqueur, Dante, en sa Vita

  1. Voyez le livre intitulé On Heroes, hero-worship, and the heroic in history, by Thomas Carlyle.