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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/498

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vers les empereurs d’Allemagne, à tel point que l’un de ses plus respectueux biographes, M. Cesare Balbo, l’accuse de sentimens que le patriotisme réprouve ; personne pourtant n’a conçu une idée plus haute de l’Italie, personne n’a plus contribué à la glorification du peuple romain et des étonnantes destinées que l’histoire lui a faites. Avec ce goût des symboles et cette liberté d’interprétation particulière à son époque, il mêle sans cesse les destinées de Rome et les traditions bibliques ; il affirme que ces deux histoires se déroulent parallèlement : Énée, dit-il, n’abordé au Latium l’année même où David devenait roi d’Israël. De la race de David devait sortir la vierge sainte, mère du Sauveur des hommes ; les fils d’Énée devaient conquérir le monde et préparer ainsi cette unité des peuples nécessaire au triomphe du christianisme. Bossuet a signalé aussi la domination romaine comme un des plus puissans moyens dont la Providence se soit servie pour donner cours à l’Évangile ; Auguste, sans le savoir, fraie le chemin à la religion de l’avenir ; tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au monde. Ces grandes vues que l’évêque de Meaux emprunte à saint Jean, Dante les avait développées avant lui, et ce que Bossuet exprime au nom de la philosophie religieuse, Dante le proclame tout ensemble avec l’accent de la foi et l’orgueil du sentiment national. Avec quel amour il parle de la gloriosa Borna, de la dolce terra latina ! Ce saint-empire, héritier des césars, peu lui importe qu’il soit devenu allemand, il n’y voit que les continuateurs de Rome, et si Virgile est son guide, c’est que Virgile a chanté Auguste. Idées bizarres, contradictions naïves, mais sous ce vêtement scolastique on sent battre le cœur du grand patriote italien. Gardons-nous donc bien de condamner trop vite son système, et surtout ne disons pas avec M. Wegele que Dante était une nature germanique plutôt que romane. C’est la manie des critiques d’outre-Rhin d’apercevoir partout l’influence de leur race ; ici, en vérité, la prétention est trop plaisante. Dante a beau dire de lui-même florentinus natione, non moribus, quel esprit a été plus italien ? quel enfant de Florence a été plus dévoué à sa mère ? Ses invectives les plus cruelles prouvent l’ardeur de son amour. Au fond de l’enfer, dans les vallées du purgatoire, dans les splendeurs du paradis, Florence est toujours présente à sa pensée : on dirait qu’elle est l’héroïne de ce poème consacré à la peinture de l’invisible.

Voilà, ce me semble, grâce aux travaux de la critique moderne, la figure d’Alighieri assez nettement dessinée à nos yeux. Maintenant suivez-le en exil de 1302 jusqu’à sa mort, et ces vingt années de souffrance vont vous apparaître dans leur sainte majesté. Les recherches de MM. Kopisch, Fauriel, Balbo, Arrivabene, éclairées par les découvertes de MM. Charles Witte et Wegele, en reçoivent une nouvelle valeur. Les voyages du poète proscrit, son rôle auprès des