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les vases chinois et les vases grecs.

le désigner, le Français impitoyable emploie volontiers le nom de magot. Les Chinois sont des magots, c’est ce qu’on sait de plus net sur la Chine. Le mot répond à tout et justifie jusqu’à notre ignorance. Qu’importe une civilisation aussi vieille que le monde ? qu’importent des institutions dont les siècles n’ont point altéré le respect ? qu’importe un génie inventif qui a devancé l’Occident et découvert avant lui la boussole, la poudre à canon, l’imprimerie ? L’histoire de la Chine nous laisse indifférens, ses malheurs mêmes nous égaient. Quand les journaux rapportent que plusieurs milliers de rebelles ont été coupés en trente-deux morceaux, ces atrocités semblent surtout bizarres : pour être notre prochain, un Chinois est trop loin ; pour être notre semblable, il est trop laid.

Voilà pourtant ce qu’une nation risque à se peindre trop naïvement. Au lieu de se livrer aux fantaisies maladroites de ses artisans, elle doit demander à l’art de résumer son type, d’en saisir les traits les plus favorables, de lui constituer une beauté que la nature produit rarement dans une lumière complète. La Grèce au contraire a bien compris la nécessité de cette prévoyance, qui répand le respect autour d’une race, de même que les représentations magnifiques soutiennent la majesté des rois. Il n’est point déraisonnable de comparer deux extrêmes qui se touchent par un point. Les Chinois sont aussi éloignés de nous par l’espace que les anciens Grecs par le temps : six mille lieues valent deux mille ans. Ce que Racine disait des Turcs dans sa préface de Bajazet n’est plus vrai des Turcs, aujourd’hui que Constantinople est un port européen ; mais cela est vrai des Chinois : ils ont pour nous le prestige de l’antiquité, c’est-à-dire de l’inconnu. Or les Grecs ont fabriqué des vases peints avant les Chinois, ils en ont fabriqué pour tous les usages ; leur commerce les portait jusque dans les colonies les plus reculées. Déposés dans les tombeaux, ces vases se retrouvent aujourd’hui par milliers ; les musées de l’Europe en sont remplis, les particuliers se les disputent au poids de l’or. Cependant ils n’offrent ni la belle pâte, ni les couleurs éclatantes, ni l’émail transparent de la porcelaine chinoise : un peu d’argile rougie par la cuisson, quelques lignes pour tracer les figures et les ornemens, un vernis noir sur les fonds, rien de plus simple que les procédés de l’industrie hellénique. Seulement cette industrie se rattachait à l’art par les liens les plus étroits : de là sa grandeur. Elle empruntait à l’art ses compositions et son style ; elle était exercée quelquefois par de véritables artistes, qui signaient leurs œuvres. Les figures sont belles, savamment dessinées, d’une proportion noble. Les dieux, les prêtres, les vieillards appuyés sur leur bâton, les guerriers mourans, les jeunes gens dans le gymnase, les vierges à la fontaine, les enfans poussant leur balle ou leur cerceau, les personnages des scènes familières aussi bien que ceux des tableaux