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pour eux qu’un enchaînement d’inventions techniques et de routine : son but est de satisfaire les besoins, d’ajouter le luxe au bien-être, de contribuer aux splendeurs du commerce ; mais la recherche désintéressée des principes, l’étude dans le secret de l’atelier, les douleurs généreuses du génie, le feu sacré que le Prométhée des Grecs dérobait au ciel, il n’y a point de cases pour ces instincts sublimes dans le cerveau d’une peau jaune. L’idéal n’habite point sous un angle de 65 degrés. Ceux qui ont eu l’honneur d’être appelés à Sans-Souci par un roi archéologue se souviennent peut-être d’avoir été servis par un Chinois. Ils étaient deux jadis, pauvres jeunes gens amenés en Allemagne par un Barnum qui exploitait la curiosité publique. Rachetés par Frédéric-Guillaume, ils furent placés dans une université prussienne, auprès de professeurs distingués. Malheureusement ni les lumières de la science ni celles des lettres ne purent pénétrer des natures qui n’étaient point faites pour les concevoir. Ces tristes adeptes finirent par demander grâce au prince : ils descendirent avec joie dans les honteux loisirs de la domesticité. Ils eussent fait merveille sans doute, si on leur eût appris à découper des éventails ou à cultiver des arbres nains. Parmi tant de milliers d’enfans que nos missionnaires en Chine ont sauvés de la mort et élevés à leur guise, qu’ont-ils obtenu, sinon des chrétiens médiocres et des hommes plus médiocres encore ? On a bien raison de fermer le Céleste-Empire aux étrangers : le jour où nos idées l’envahiront, il s’affaissera, comme le Mexique et le Pérou se sont affaissés au contact de la civilisation européenne. Ainsi certaines espèces d’animaux disparaissent d’un continent à mesure que l’homme s’y avance. L’antipathie des races (je donne au mot son sens le plus précis) est une loi de la création, et leur mélange est frappé d’impuissance : Babel est la démonstration d’une vérité philosophique.

Il n’y a en Chine, à proprement parler, que des industries, c’est-à-dire des applications professionnelles de l’art ; seulement ces industries brillent d’un éclat très-vif, parce que l’art, qu’elles ont absorbé, leur communique à leur insu la délicatesse, l’élégance, le goût de la richesse, et surtout de la décoration. On a remarqué chez les Grecs l’irrésistible rayonnement des arts, qui s’est étendu jusqu’aux fabrications les plus viles. Tous les meubles de Pompéi dénotent un sentiment exquis de la proportion, de la ligne, de la forme ; les détails d’ornementation sont empruntés directement aux plus beaux motifs de l’architecture ou de la sculpture. Les ustensiles de ménage participent à ce noble caractère, et je vois d’ici, au palais de Naples, telle écumoire dont Vatel n’eût pas osé se servir, et que le dernier des cuisiniers raillés par Plaute plongeait dans la marmite journellement. Les Chinois peuvent être comparés aux Grecs par ce côté, bien que les deux effets aient eu dans les deux