Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/567

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
563
les vases chinois et les vases grecs.

ils ont recours aux demi-teintes, aux ombres portées ; ils marient moins témérairement les couleurs et parviennent quelquefois à les fondre. Aussitôt leurs porcelaines perdent toute leur beauté : elles pâlissent, leur aspect devient incertain, leur ton faux. Les amateurs ne jettent qu’un regard de dédain sur des œuvres que les ateliers comparent, avec une trivialité expressive, à des macédoines de légumes. D’enlumineurs ils ont voulu se faire peintres, et, peintres maladroits, ils renoncent au mérite de la décoration sans pouvoir atteindre au mérite de l’art. Or les Grecs étaient aussi des Orientaux ; enivrés par une belle lumière, épris de la couleur, doués par excellence du génie de la décoration, ils pratiquaient en maîtres les tons crus, les effets simples, les oppositions héroïques. Les ornemens de l’architecture grecque, soit sur le marbre, soit sur la pierre revêtue de stuc, étaient alternativement rouges, bleus, jaunes, verts ; l’or seul adoucissait par ses reflets chatoyans la vivacité des contrastes. Les fonds d’or des mosaïques byzantines ne sont que le développement de cette tradition. Pourquoi donc, sur les vases, les Grecs se sont-ils contentés d’appliquer un vernis noir, en laissant aux figures le ton naturel de la terre cuite ? Pourquoi ont-ils abandonné assez promptement les habitudes de l’ancien style, qui appliquait çà et là des touches violettes et peignait en blanc le visage, les bras et les pieds nus des femmes ? Une semblable contradiction s’explique par la qualité de la matière : sa surface ingrate eût détruit le charme des couleurs. En cela, l’industrie chinoise est infiniment supérieure à la poterie hellénique. Si les Grecs eussent connu la porcelaine, quels chefs-d’œuvre de véritable peinture ne trouverions-nous pas dans leurs tombeaux !

Réduits à ne tracer qu’une silhouette, leurs artistes s’attachèrent uniquement à la beauté du dessin. Les vases grecs n’offrent, à vrai dire, que des dessins où le sujet se détache du fond par une couleur différente : la couleur n’a même point d’autre but ; mais combien les compositions sont simples, le style grandiose, les lignes pures, le sentiment exquis ! La figure humaine tient la principale place ; la nature est comme supprimée. Quelques traits conventionnels indiquent les détails de la scène. La mythologie, ce riant vêtement des idées abstraites, les amours des dieux, l’épopée, l’histoire elle-même, fournissent des sujets illustres, et d’une variété inépuisable. Tout sert de prétexte pour reproduire sans cesse la beauté d’une race qui s’est proclamée divine en créant les dieux à son image.

Sur les vases de la Chine, l’homme n’a pas plus d’importance que les fleurs, les arbres, les animaux ; il est rendu avec moins d’exactitude, sans aucun souci des principes du dessin. Pour les Chinois, les accessoires sont le principal : les papillons et les fleurs sont