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les vases chinois et les vases grecs.

peur de détruire leur force ; elle se réjouit presque de demeurer confondue en voyant la naïveté d’artisans barbares produire des effets plus puissans que les calculs d’un artiste consommé.

Beaucoup de personnes préféreront les vases chinois aux vases grecs pour décorer leur appartement. Leur goût est juste, car ce ne sont que des meubles. Les vases grecs appartiennent de droit à nos musées, car ce sont des œuvres d’art. Ils inspirent les maîtres dans la sculpture et la peinture, tandis qu’ils attristeraient par leurs tons austères le boudoir d’une petite-maîtresse ou le salon d’un financier. Chez les anciens cependant, ils étaient la parure de la maison avant d’être la parure des tombeaux. L’intérieur élégant des Grecs, l’atrium somptueux des Romains, ne craignaient point leur simplicité grave, parce qu’elle était en harmonie avec l’ensemble de la décoration. Les vases s’enlevaient vigoureusement sur les murs, peints d’une seule couleur, qui leur servaient de fond comme à des tableaux. La lumière perpendiculaire qui inondait les portiques faisait valoir les figures rouges, que l’on distinguerait à peine dans nos appartemens sombres, où les tentures contribuent encore à étouffer le jour. Au milieu de la clarté, de l’espace, de la nudité grandiose des demeures antiques, les meubles bariolés eussent été un criant désaccord. Bien plus, les principes qui présidaient à la construction et à l’ornementation des vases répondaient à l’architecture intérieure des appartemens. Ils avaient leur plinthe, leur base, leur attique ; les lignes horizontales qui les divisaient en plusieurs zones imitaient les moulures. Il l’avait pour les grands vases des frises, des corniches, des couronnemens figurés au pinceau, dont les motifs étaient copiés fidèlement sur l’architecture. Ainsi, dans une civilisation que conduit une raison supérieure, tout se tient, tout se complète ; les détails frivoles rentrent eux-mêmes dans un cadre grandiose. Sans ce cadre, ils ont leur beauté propre, mais il la fait mieux ressortir.

Les vases chinois, réunis dans un musée, deviennent bientôt une étude monotone et stérile. Ceux qui ont visité les caves du palais japonais à Dresde ont peut-être ressenti comme moi cette impression. Le seul intérêt devant les couleurs qui tourbillonnent autour du regard, c’est de chercher une classification historique et de reconnaître, selon les époques, le progrès ou la décadence des procédés. Les vases chinois ne gagnent point à être isolés : ils plaisent surtout dans un appartement brillant d’or et de lumières, dans des serres remplies des fleurs les plus variées. Il leur faut un entourage animé, le choc des tons, le reflet des glaces, le jeu des étoffes, en un mot le désordre d’une élégante fantaisie ; ils apparaissent dans toute leur valeur à l’étalage d’un marchand de curiosités, parmi les dépouilles des cinq parties du monde, tant il est vrai qu’ils ne sont que des meubles à la création desquels le caprice seul a présidé.