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Cette candidature, qui provoquait de telles manifestations de la part des masses ignorantes et brutales, n’en inspirait pas moins de sérieuses réflexions à tous les hommes éclairés du sud. Ceux-ci mesuraient avec effroi le chemin que le nord avait parcouru depuis douze ans. En 1844, les abolitionistes ne pouvaient donner que 140,000 voix à M. Birney ; en 1848, les free-soilers, aidés du nom de M. Van Buren, ne réussissaient qu’à opérer une scission dans les rangs des démocrates du nord, sans emporter le vote d’un seul état ; en 1852, ils étaient encore obligés de se couvrir du manteau des whigs, et leur appui devenait fatal au général Scott, qui ne réunissait que 42 votes, quand son ancien lieutenant en obtenait 252. En 1856, au contraire, les free-soilers arboraient ouvertement leur drapeau, et le nord se ralliait à leur candidat avec une telle unanimité, que dans la plupart des états libres il était impossible d’engager la lutte contre lui. Cette unanimité du nord n’était pas le résultat d’un engouement passager, mais d’une conviction froide et réfléchie. C’étaient cette fois les hommes les plus considérables par leur position, leurs lumières et leurs services, qui donnaient l’exemple et entraînaient les masses après eux. Qui donc avait accepté de présider le meeting tenu à Cambridge en l’honneur de M. Sumner ? N’était-ce pas l’ancien président de la cour du New-Hampshire, le président de la première faculté de droit du nord, le jurisconsulte éminent qui avait défendu contre la passion de ses concitoyens la loi sur l’extradition des esclaves fugitifs ? Et quelles paroles étaient tombées de la bouche de M. Parker, de cet homme à cheveux blancs, dont toute la vie s’était écoulée dans l’étude et l’application des lois ? quels conseils avait-il donnés à ses concitoyens ? « Si tous les moyens, avait-il dit, que la constitution nous offre pour faire respecter la liberté qu’elle consacre viennent à faillir, que restera-t-il à faire ? Puisse Dieu, en sa merci infinie, détourner de nous un semblable malheur ! Mais si la Providence, dans sa sagesse, croit devoir permettre à la violence et à la folie de quelques hommes d’arracher de la constitution les libertés qu’elle nous garantit, et que la loi nous assure, en nous laissant les apparences d’un gouvernement libre au lieu de la réalité que nous avions cru jusqu’ici avoir conquise, ce n’est pas à nous, ce n’est pas ici qu’il convient de dire ce qu’il faudra faire alors. Pour moi personnellement, je suis sans doute connu de la plupart de vous comme un citoyen paisible, raisonnablement conservateur, attaché du fond du cœur à la constitution, et beaucoup trop avancé en âge pour me permettre une vanterie ; mais dans les circonstances actuelles on me pardonnera de rappeler qu’un peu du sang de mon père a coulé à Bunker-Hill, au commencement de la révolution, et qu’il me reste encore quelques gouttes du même sang, s’il devenait nécessaire d’en commencer une seconde. »