Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le choix de M. Fremont comme candidat du nord provoqua dans tout le sud une explosion de colère. Toute la presse des états à esclaves déclara que l’élection de M. Fremont aurait pour conséquence la rupture immédiate de l’union. Le gouverneur de la Virginie, M. "Wise, invita les gouverneurs des autres états du sud à une conférence pour arrêter en commun les mesures à prendre au cas où M. Fremont serait élu, et, pour son compte personnel, il enjoignit aux milices de la Virginie de se tenir prêtes à se rassembler et à prendre les armes, au premier signal. Il se trouva des gens pour proposer de marcher sur Washington dès que les résultats de l’élection seraient connus, et de s’emparer du Capitole, des archives et du trésor de la confédération ; mais laissons la parole à M. Brooks, qui s’exprima en ces termes à Ninety-Six, dans un meeting convoqué en son honneur :


« Je vous le déclare, chers concitoyens, du fond de mon cœur ; la seule façon convenable, à mon avis,.de répondre à une pareille nomination serait de déchirer la constitution des États-Unis, de la fouler aux pieds, et de former une confédération du sud, dans laquelle n’entreraient que des états à esclaves. (Applaudissemens bruyans et prolongés.) Oui, je vous le répète franchement et sans détour, le sud, à mon avis, n’a qu’une seule chance de salut : c’est de briser les liens qui nous unissent au gouvernement : c’est de séparer le corps vivant de la carcasse morte.

« En attendant, je suis d’avis que le sud vote carrément pour M. Buchanan. Faisons notre devoir jusqu’au bout. Prêtons-nous à l’épreuve que réclament nos amis ; si elle échoue, nous n’en serons que mieux fondés à leur demander de se ranger à notre avis. Il faudra tôt ou tard que la lutte s’engage. »


M. Brooks formulait dans toute leur violence les sentimens de la partie la plus ardente des propriétaires d’esclaves. Depuis longtemps, les masses populaires dans les états du sud ne tolèrent plus la moindre dissidence d’opinion sur l’esclavage. Il y a quelques semaines, M. Hedrick, professeur à l’université de la Caroline du nord, a été destitué par un vote unanime du conseil d’administration pour avoir écrit à un journal qu’éclairé sur les conséquences funestes de l’esclavage pour son pays natal, il souhaitait le succès de la candidature de M. Fremont. Dans la Virginie, où certains comtés, peuplés par des émigrans du nord, comptent peu ou point d’esclaves, des tentatives avaient été faites pour organiser des comités électoraux en rapport avec ceux du nord. Ces tentatives furent aussitôt signalées à la vindicte publique, et d’un bout à l’autre du sud, il fut signifié qu’on ne souffrirait aucune démarche, aucune manifestation, aucun vote en faveur de M. Fremont, et que la loi de Lynch serait immédiatement appliquée aux coupables. La liberté du vote était donc supprimée de fait.