Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un Indien la Bible, lui ordonne de croire en ce livre. « Que dit-il répond l’Indien en appliquant l’oreille sur le livre. Va-t’en ; je n’entends rien… » Et l’Espagnol lui casse la tête. Le luthéranisme suédois agit de même en vérité ; il possède à lui tout seul la vérité ; tant pis pour qui s’avise de vouloir vivre au milieu de cette nation sans croire religieusement tout ce qu’elle croit ! Il sera emprisonné et dépouillé.. Voilà une belle manière d’appliquer cette règle : « Hors de l’église, point de salut ! »

On voit quel a été pendant la première moitié du XIXe siècle l’empire tyrannique des mœurs sur les institutions de la Suède ; ces institutions n’ont pu l’emporter encore, et il est arrivé qu’une constitution ayant proclamé une certaine indépendance religieuse, nulle loi organique n’est venue formuler expressément et introduire dans la pratique de chaque jour ce que la constitution avait proclamé d’une manière générale. Cependant la cruauté de la législation subsistante devenait trop évidente à tous les yeux, en Europe et en Suède même. Chaque année nous avions à inscrire quelque nouveau procès dont nous rougissions pour un peuple dont le génie est d’ailleurs héroïque et généreux[1] ; nous le faisions avec réserve, et nous avons omis à dessein, par exemple, la scandaleuse séance de l’Alliance évangélique du 28 août dernier, à Paris, parce que nous étions persuadé que la partie sainement libérale de la nation suédoise, plus importante par la valeur morale des hommes qui la composent que par leur nombre, et surtout le roi Oscar à sa tête, ne manqueraient pas de tenter prochainement de puissans efforts pour effacer des codes suédois une page si affligeante. Nous avions pour motifs à de telles espérances la connaissance bien assurée des sentimens d’humanité et de générosité du roi Oscar, tels qu’il les a exprimés dans un de ses livres contre la peine de mort, et son énergique conduite pendant les dernières négociations ; nous nous appuyions aussi sur la ferme attitude qu’avait prisé dans cette question l’organe du parti libéral dans la presse suédoise, l’Aftonblad. Nous ne nous étions pas trompé. Le roi Oscar vient de prendre l’initiative d’une proposition tendant à abolir la pénalité sauvage introduite en 1687, et conservée jusqu’en 1856. Ce n’est pas encore, on le voit bien, de la liberté religieuse tout entière qu’il s’agit : les non-conformistes continueront à être exclus des charges et emplois ; mais du moins la Suède ne restera plus en arrière de deux ou trois siècles, et elle sera entrée dans la voie du juste et du vrai. Peut-être la proposition royale va-t-elle soulever d’orageuses discussions dans la diète suédoise. On peut néanmoins attendre avec confiance la fin du débat. La Suède ne voudra pas, comme on l’a dit, se laisser donner une leçon de tolérance par la Turquie ; elle ne voudra pas rester plus longtemps en arrière de la Norvège, intelligente et libérale. Les vertus des chefs dévoués de la petite communion catholique de Stockholm réclament respect et protection ; l’inquiétude et presque les menaces des protestans non-conformistes méritent que l’église luthérienne songe à se défendre en s’appuyant sur les fermes bases de la justice et de la liberté, et la Suède tout entière n’a qu’à suivre le roi Oscar

  1. Voyez les différens Annuaires des Deux Mondes de 1850 à 1856. Chacun contient de pareils témoignages.