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Avec l’orgueil immodéré qui le possédait, il n’est pas étonnant que M. de Balzac n’ait jamais su ni écouter ni supporter la critique. La critique, on peut le dire, le rendait fou, et, si le cœur était naturellement bon chez lui, l’amour-propre avait des colères ardentes et des ressentimens furieux. Il s’emportait alors en déclamations, en injures, et se livrait à des violences souvent sans justice et toujours sans dignité.

Des entreprises commerciales qu’il avait tentées dans sa jeunesse et dont le mirage lui troubla toujours le cerveau, M. de Balzac avait malheureusement rapporté des goûts industriels et des habitudes de spéculation qui étaient bien plus incompatibles encore avec la dignité des lettres. Le besoin de vivre d’abord, plus tard l’amour du lucre et la vanité le poussant dans le même sens, il en vint à pratiquer ouvertement et à ériger en théorie ce qu’on a appelé l’industrialisme littéraire. On se rappelle comment, dans ses préfaces, il développait cette idée, que la France eût dû payer une liste civile aux dix ou douze maréchaux littéraires qui faisaient son illustration, et comment il expliquait en termes de négoce qu’un écrivain, pour avoir du crédit et vendre cher ses produits, devait avoir sur la place une certaine surface commerciale. Gagner de l’argent, beaucoup d’argent, était devenu sa préoccupation continuelle. Être millionnaire et mener une vie de prince, c’est le rêve qu’il a poursuivi toute sa vie, et sa plus chère ambition eût été de pouvoir rivaliser de luxe avec un romancier et un poète qui, en ce temps-là, faisaient grand bruit par leurs prodigalités et leur faste oriental. « Il faut, disait-il, que l’artiste ait une vie splendide. » Ce besoin d’argent, cette fièvre d’or fut un des plus vifs aiguillons qui le poussèrent à tenter la fortune du théâtre, car au théâtre les grands succès se soldent par de magnifiques bénéfices, et pour lui la question des bénéfices primait toutes les autres : la question d’art ne venait qu’après. Soit habitude, soit instinct, soit obsession d’une passion dominante, il en était venu à ce point que « toute idée, quelqu’un l’a dit, tournait chez lui à l’opération, » que toute conception, même littéraire, se résolvait en un calcul de gains à réaliser. Sous l’homme de lettres, il y avait du faiseur, de ce Mercadet que lui-même a peint ; spéculateur à outrance, exploitant indifféremment toutes choses, escomptant ses idées et celles d’autrui, jetant sur le marché littéraire, pour parler son langage, bien des valeurs fictives, laissant plus d’une fois protester sa signature et ne payant souvent que par contrainte judiciaire. Quel est celui de ses éditeurs avec qui il n’ait pas eu de procès ? Et la société des gens de lettres elle-même, qui lui érige aujourd’hui des statues, n’a-t-elle pas, écrites tout au long sur ses registres, des protestations qui ne laissent pas de prêter à plus d’une supposition fâcheuse ?