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ne sont pas la même chose, cela est vrai ; mais, comme l’a dit un homme d’esprit, ils marchent plus souvent qu’on ne croit de compagnie. Loin d’être en opposition avec les principes du bien, tout ce qui porte les caractères de la vraie beauté tend au contraire à les fortifier dans les âmes. L’art véritable, la poésie digne de ce nom, la grande littérature, ne trouvent même que dans les hautes pensées philosophiques et religieuses, dans les nobles croyances du spiritualisme, une source pure et féconde d’inspiration. L’histoire n’en dépose-t-elle pas à chaque page ? Ne sont-ce pas les époques de foi religieuse ou philosophique qui ont vu éclore les grandes et fortes littératures ? Ne sont-ce pas les siècles de froid scepticisme, de défaillance et d’anarchie morales qui les voient languir et déchoir ? Pour ne pas remonter plus haut, qu’est-ce qui a ranimé, Il y a cinquante ans, le génie éteint des lettres françaises, sinon ce sentiment religieux et spiritualiste retrouvé par M. de Chateaubriand et Mme de Staël ? Qu’est-ce au contraire qui, de nos jours, a tari peu à peu l’inspiration première et fait avorter tant de talens riches de si belles espérances, sinon cette renaissance, dont nous avons été témoins, d’un matérialisme et d’un scepticisme nouveaux ? Aux généreuses ambitions, aux nobles enthousiasmes, aux œuvres sérieuses et dignes, n’ont-ils pas fait succéder une littérature à la fois grossière et raffinée, brutale et desséchante, se complaisant dans la peinture du laid et du mal, sans souffle, sans élévation et sans pudeur ?

Ce sont, il faut le répéter bien haut, de tristes muses que le scepticisme et le matérialisme ! Le réalisme, qui est ne d’eux, n’est qu’une forme de la décadence. Tout art qui leur demande ses inspirations abdique par la même et se suicide. Toute littérature qui, méconnaissant dans l’homme le principe divin, ne voit plus en lui que des instincts et des forces, des appétits et des passions, qui réduit la morale au plaisir et ne donne pour but à la vie que le bonheur, toute littérature qui a pour point de départ ces idées est d’avance condamnée à la stérilité. Croire à la dignité de l’homme, à sa nature immortelle, à ses hautes destinées ; reconnaître la liberté, avouer la loi morale et donner à la vie un autre but que la satisfaction des sens, ce n’est pas seulement professer une plus noble philosophie, c’est encore féconder l’imagination par le cœur ; c’est ouvrir à la poésie de plus larges horizons, c’est surtout pour le romancier, pour le moraliste, pour le poète dramatique, porter dans les mystérieuses profondeurs de l’âme humaine la seule lumière qui puisse les éclairer, — une lumière sans laquelle tout est ténèbres où illusions, sans laquelle on ne peut tracer de l’homme qu’une image tan tôt fantastique et tantôt repoussante, dans les deux cas également menteuse.


EUGENE POITOU.