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ville, et je vis des aumônes des voyageurs et des voisins. Il y a six semaines, après avoir dit mes prières, je m’étais assis à la porte de la cabane en compagnie de mon fils, âgé de dix ans. Une couverture que j’avais achetée la veille était étendue près de lui. Un homme accompagné de sa femme et de ses deux enfans, l’un plus jeune, l’autre plus vieux que mon fils, vint s’arrêter près de nous. Ces voyageurs pétrirent leur pain, le mangèrent, et nous donnèrent une quantité suffisante de farine pour faire deux galettes, que je préparai immédiatement. Je mangeai la moitié d’une, et mon fils acheva le reste. Quelques instans après avoir pris cette nourriture, nous devînmes stupides, je vis mon fils s’endormir et l’imitai bientôt. Au réveil, j’étais dans une mare d’eau voisine, et comme fou. J’eus cependant l’instinct d’en sortir et de me traîner jusqu’à la cabane, où je trouvai mon fils qui respirait encore. Je m’assis à ses côtés, mis sa tête sur mes genoux, mais il expira peu après. La couverture neuve avait disparu. La nuit était venue, je me levai et errai au hasard aux alentours en ramassant je ne sais pourquoi des brins de paille. J’étais encore tout insensé au jour, quand des voyageurs m’apprirent que les loups avaient mangé le corps de mon pauvre enfant. Je revins alors machinalement à la cabane, ramassai ses os dispersés, et les ensevelis. Le troisième jour seulement, je repris complètement mes sens, et appris que des blanchisseuses qui m’avaient trouvé sans connaissance m’avaient porté à la mare dans l’espoir que la fraîcheur de l’eau me ramènerait à la vie. Elles n’avaient pas essayé ce remède pour mon fils, dont l’état leur avait paru désespéré. À quelques jours de là, on me mena à la police, et là, sur les recommandations des voisins, qui avaient peur d’être inquiétés si la vérité était connue, je déclarai que mon fils avait été dévoré par les loups pendant son sommeil. »


Les crimes dont il nous reste à parler ne sont plus propres exclusivement aux populations et au sol de l’Inde. L’attentat connu sous le nom de dacoït, qui se commet sur une échelle effrayante dans les domaines de la compagnie, rappelle dans tous ses détails ces sanglantes expéditions des chauffeurs qui vers la fin du siècle dernier désolèrent certains départemens du nord de la France. À la nuit, une bande d’individus, la figure masquée ou noircie, envahit une maison, saisit ses habitans et se livre contre eux aux plus horribles sévices jusqu’à ce qu’ils aient dénoncé les endroits où sont cachés leur argent et leurs bijoux. Un mode de torture fréquemment employé par les dacoïts consiste à allumer des étoupes dont ils ont préalablement entouré les mains et les bras des prisonniers et à alimenter d’huile ces flambeaux vivans jusqu’à ce que la douleur ait forcé les victimes à révéler le secret de leur trésor. Les dacoïts se distinguent en dacoïts d’occasion, qui exercent ouvertement quelque honnête industrie et ne se livrent au brigandage que par intervalle, et en dacoïts de profession, qui n’ont d’autre moyen d’existence que le fruit de leurs rapines. Ces derniers vivent en commun dans des repaires sous les ordres d’un chef reconnu, et se recrutent de tous les mauvais