Les tortures physiques ne sont pas les seules qui soient pratiquées dans l’Inde pour mener à criminelle fin criminels projets, et les secrets les plus raffinés de l’industrie moderne du chantage sont exploités en ces pays lointains avec un succès d’autant plus grand que l’esprit de caste, la crainte de la dégradation sont les seuls sentimens qui exercent une puissante action sur l’homme de l’Inde. Il y a quelques années, le tribunal de Meerut eut à juger des natifs accusés d’homicide sur la personne d’un de leurs parens, et il fut prouvé que les meurtriers n’avaient fait que se rendre aux instantes supplications du défunt. Ce dernier, poursuivi par la colère d’un officier de police qui le menaçait de faire promener, s’il ne se tuait pas, sa femme à visage découvert sur un âne dans les bazars, et n’ayant pas la force de se détruire de ses propres mains, avait exigé de ses parens qu’ils prévinssent, en lui donnant la mort, le déshonneur dont cette exhibition eût souillé lui et les siens. Dans un autre ordre d’idées se commettent des crimes non moins étranges. Ainsi, pour appeler sur un ennemi la vengeance céleste qui poursuit l’homicide, des hommes ou des femmes viennent s’accroupir à sa porte et s’y laissent mourir de faim sans qu’il soit possible de les en chasser ou de leur porter secours. Les mêmes superstitions poussent des pères à immoler leurs enfans. Un planteur d’indigo nous a raconté qu’ayant acquis un nouveau domaine, il fit ensemencer certaines portions de terrain malgré les réclamations d’un ryot qui s’en prétendait propriétaire. Un matin, le ryot vint le trouver en compagnie d’un petit enfant de cinq ans environ, et ses nouvelles instances n’ayant point été écoutées, le natif termina l’entretien en affirmant au propriétaire, au milieu des plus horribles malédictions, que le sang de son enfant qu’il allait tuer en sortant retomberait un jour sur sa tête. La menace fut en effet exécutée par cette bête féroce, qui brisa le crâne du pauvre petit contre un arbre à quelques pas de la maison du planteur. Les annales de l’Inde abondent en exemples de crimes inspirés par ce fanatisme étrange. Il y a quelques années, un brahme de Dinapore, dans le désir d’attirer sur un de ses collègues le châtiment que Brahma réserve à quiconque ôte la vie à l’un des membres de l’ordre sacré, se renferma dans un petit temple et y mit le feu. Secouru par la police, cet homme mit à profit cet incident, et, dans l’espoir de faire d’une pierre deux coups, si l’on nous passe cette locution vulgaire, employa ses derniers momens à accuser de ce meurtre son ennemi, qu’il livrait ainsi à la colère des hommes en attendant qu’il eût à subir son châtiment dans l’autre monde. Heureusement pour l’accusé, il fut prouvé facilement qu’il n’avait pu participer au meurtre, car la porte du temple, fermée en dedans, n’avait pu l’être que par l’accusateur lui-même.