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eurent donc pour but d’y introduire un système de travail réglé et de les pourvoir de cuisines publiques et de cuisiniers. Cette dernière réforme ne s’accomplit pas sans résistance, et plus d’un vieux serviteur du gouvernement de l’Inde, imbu des vieilles traditions de déférence aux préjugés religieux des populations, annonça, en maudissant l’innovation culinaire, que la dernière heure de la puissance anglaise dans l’Inde allait sonner à l’horloge du destin. L’expérience n’a point vérifié, comme de raison, ces lugubres pronostics, quoi qu’il ait fallu recourir dans la plupart des prisons de l’Inde à l’emploi de la force ouverte pour établir la coutume des cuisines communes[1].

En comparant les tableaux de statistique criminelle de l’Inde aux documens de cette nature publiés en Angleterre, en Écosse et en France, on trouverait que la moralité de la population du Bengale diffère peu de celle des nations les plus civilisées de l’Europe. Hâtons-nous toutefois de rendre justice aux populations européennes, il est loin d’en être ainsi. Tandis qu’en Europe l’exception infinitésimale des crimes et attentats reste seule inconnue de l’autorité et que la statistique judiciaire donne exactement le degré du thermomètre moral des populations, les documens publiés par le gouvernement du Bengale ne sont en réalité que des approximations grossières dans lesquelles une bonne partie des outrages faits aux lois ne sont pas inscrits.

Comment en effet expliquer d’une manière plausible que les crimes et délits aient augmenté de près d’un tiers dans la période de temps comprise de 1838 à 1844, sinon en disant qu’une police plus vigilante, mieux au courant des habitudes des populations, a pu mettre on lumière plus d’attentats que l’on ne pouvait le faire précédemment avec les moyens insuffisans de surveillance administrative que l’on avait eus jusqu’alors ? De plus, n’est-il pas de notoriété publique, comme il a été dit plus haut, que l’administration anglaise gouvernait

  1. Nous compléterons ces détails en reproduisant un tableau de statistique criminelle relatif à la présidence du Bengale, qui comprend un territoire de 174,854 milles carrés et une population de 38,817,874 habitans, soit une moyenne de 222 individus au mille carré :
    Années Crimes ou délits Accusés Acquittés Condamnés
    1838 36,893 43,787 12,191 26,669
    1839 38,883 44,809 12,352 27,362
    1840 41,377 47,717 13,471 28,778
    1841 47,188 50,978 13,731 30,385
    1842 54,673 51,108 13,751 32,242
    1843 44,774 86,543 34,611 40,280
    1844 43,487 82,987 30,809 45,025