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depuis cinquante ans le pays, lorsque les ravages des thungs lui furent révélés pour la première fois ? N’est-ce pas d’hier ou à peu près (1842) qu’il a été découvert que la caste nombreuse des kechuks est vouée au dacoït ? Il y a comme une muraille indienne pétrie de mystère, de ruse, de mensonge, d’indifférence au bien et au mal, qui entoure tous les détails de la vie intérieure de la communauté native, et devant laquelle viennent se briser les efforts des magistrats les plus actifs et les plus intelligens. La corruption de la police et la crainte de ses exactions, crainte qui arrête dans bien des cas la plainte des parties lésées, sont encore d’autres argumens péremptoires à l’appui des doutes que nous avons émis sur la valeur des documens de statistique criminelle publiés par le gouvernement de la compagnie. Aussi peut-on conclure que la majeure partie peut-être des crimes et délits commis dans l’Inde échappe à la répression des lois. Nous n’essaierons point de dégager l’inconnue du problème en entrant dans le champ des hypothèses, et nous ne tirerons qu’une conclusion de ces faits divers : c’est que la moralité des populations indiennes est de beaucoup inférieure à celle des nations de l’Europe civilisée.

En peut-il être autrement dans cette communauté enchevêtrée de puis des siècles dans les superstitions les plus odieuses et les plus absurdes, dans cette communauté en tête de laquelle s’élève le brahme, le brahme sorti de la bouche du dieu Brahmah, le brahme infaillible et tout-puissant ? Qu’attendre de cette omnipotence terrestre que le brahme tient de la religion, sinon d’une part une tyrannie sans limites, de l’autre la plus dégradante abjection ?

Fondé de pouvoirs de la Divinité sur la terre, le brahme s’érige en dispensateur de ses bienfaits et de ses châtimens. Ici surtout ses pouvoirs sont sans bornes. La perte d’un procès, les calamités domestiques, les mille fléaux, épidémie, famine, ravages de bêtes fauves, qui peuvent fondre sur une population, sont autant d’accidens que le brahme sait exploiter avec adresse pour grandir le prestige de sa puissance aux yeux de son entourage. Il est vrai de dire que, dans les grands centres, où les natifs se trouvent en contact incessant avec les Européens, la barrière des castes a été en partie démolie. À Calcutta, par exemple, on trouve par centaines des brahmes qui, poussés par l’appât du gain, ont embrassé des professions que les dogmes de leur religion leur interdisaient ; mais, en dehors des grandes villes et des districts voisins, l’influence du brahme demeure toute-puissante sur des esprits imbéciles, façonnés dès leur enfance au joug des plus folles superstitions. En traitant de l’éducation, nous avons dit tout ce qu’il l’avait de défectueux et de puéril dans le système des écoles de la communauté native ; mais,