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on avait oublié de lire l’épitaphe, on l’aurait vu que ce tombeau était celui d’un certain Vibius : il est vrai qu’elle n’est pas tournée du côté de la route. Aussi le tombeau de Vibius porte encore le nom de tombeau de Néron.

Pour compléter par les souvenirs qui s’attachent aux lieux et aux monumens l’histoire des premiers empereurs, il faut compléter le voyage de Rome par le voyage de Naples. Auguste alla récréer ses yeux mourans au spectacle des rivages de la Campanie et des îles du golfe napolitain : il mourut à Nola. Tibère a donné à Caprée une honteuse immortalité ; Misène vit sa triste et juste fin. Pouzzoles rappelle encore la folie de Caligula. Enfin cette région enchantée a vu sous Néron s’accomplir le plus odieux de ses crimes, le meurtre d’Agrippine, meurtre manqué et repris à plusieurs fois, et qui se termine par un tableau que l’on ose à peine regarder, Néron accourant vers le cadavre nu de sa mère, le contemplant et le touchant, louant ceci, blâmant cela, toujours avec sa prétention de connaisseur et d’artiste ; puis il eut soif et il but !

Il y a plus de trente ans, jouissant pour la première fois du spectacle de ces bords incomparables, je ne pouvais, au milieu de leurs enchantemens, écarter leurs souvenirs, et sortant des Champs-Elysées de Virgile, qu’on a cru retrouver dans ces lieux dignes d’un tel nom, je m’écriai :

A voir ces frais coteaux, ces bords délicieux,
Qu’ombrage le figuier, que le pampre couronne,
Ces sommets verdoyans qu’un air pur environne,
Ces contours arrondis pour le charme des yeux,
Ces flots si doucement roulant leurs plis humides,
Semblables aux plis gracieux
D’une robe d’azur qu’à la clarté des cieux
Déroule en se jouant une des néréides ;
A voir ce jour si doux, si radieux,
Ce jour, qui semble fait pour éclairer les dieux,
On se croirait encore au sein de l’Elysée…
Mais cette terre où nous cueillons des fleurs
De sang humain est arrosée,
C’est la terre des douleurs,
C’est la terre de l’homme, et du crime, et des pleurs.
Néron sur cette plage a fait tuer sa mère,
Et cette île à nos pieds, c’est l’Ile de Tibère[1].


J.-J. AMPERE.

  1. Voyage aux Enfers de Virgile