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sucre, le café y sont cultivés avec avantage. Les Américains s’y sont transportés en masse. Aussi habiles que les Anglais dans l’art de conquérir par la colonisation, sachant bien qu’un pays reste toujours à la longue au peuple qui possède la plus grande partie des terres, qui bâtit et occupe la plus grande partie des maisons, qui possède la plus grande partie des magasins, ils se sont mis avec ardeur à ce travail de conquête progressive et quasi-souterraine. Ils ont été bientôt assez nombreux pour balancer l’influence anglaise et pour partager avec les Anglais le gouvernement du roi. En outre, fait plus important, ils ne se sont pas contentés de former des établissemens, ils se sont généralement fait naturaliser sujets du roi Kamehameha. Autant d’Américains naturalisés citoyens des îles hawaïennes, autant de Sinons tout prêts à ouvrir les portes à la mère-patrie. Forts de tous ces avantages, ils parurent croire un instant que le moment était venu de soumettre l’archipel à leur domination. La France et l’Angleterre étant occupées à la guerre d’Orient, ils profitèrent de l’occasion pour multiplier partout leurs intrigues. Les projets de traité, d’annexion et de conquête surgirent de toutes parts. Pendant que M. Gadsden travaillait le Mexique, que M. Cazenau, accompagné de son ardente épouse, cherchait à établir, à l’aide d’un innocent traité de commerce, le protectorat des États-Unis à Santo-Domingo, les capitaines de navires américains stationnés dans la baie d’Honolulu cherchaient, par toute sorte de vexations et d’impertinences, à amener le vieux roi Kamehameha, qui s’était laissé circonvenir par l’influence américaine, à abdiquer au profit des États-Unis. Les intrigues des États-Unis furent vaincues là, comme à Santo-Domingo, par l’action commune de la France et de l’Angleterre, et le projet d’annexion des îles Sandwich, délibéré en séance secrète par le sénat de Washington, n’eut pas de suite[1]. Il est permis de croire que si l’Angleterre eût été seule, les États-Unis n’auraient pas reculé aussi facilement qu’ils l’ont fait. Cependant quel autre intérêt qu’un intérêt purement moral avions-nous à défendre ?

Les intrigues recommenceront, car les Américains ont refusé de se lier les mains pour l’avenir. Plusieurs fois l’Angleterre et la France leur ont proposé de signer un traité par lequel les trois puissances s’engageraient en commun à défendre l’indépendance des îles ; ils ont invariablement décliné cette proposition, et se sont bornés à reconnaître les droits de la dynastie régnante. « La vraie manière de reconnaître et de respecter l’indépendance de ces îles, ont répondu avec une habile hypocrisie les ministres de Washington, est de ne pas enchaîner la spontanéité de leurs habitans et de les laisser toujours

  1. Voyez le récit de ces intrigues dans les Annuaires des Deux Mondes de 1854-55 et 1855-56.