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libres de prononcer sur leurs destinées ultérieures. Nous reconnaissons le gouvernement établi comme nous reconnaissons tous les gouvernemens de fait, parce que nous n’avons aucun droit à empêcher les peuples de disposer d’eux-mêmes à leur volonté. » Tirez la conséquence de ce principe. Si un jour, pour une raison ou pour une autre, les îles Sandwich s’offraient aux États-Unis, ceux-ci ne pourraient s’empêcher de les admettre dans leur empire. Quelle raison l’Amérique aurait-elle donc de s’engager contre ses intérêts ? Son devoir est de reconnaître le présent et de réserver l’avenir.

La position des trois puissances maritimes dans l’archipel hawaïen est donc très différente et parfaitement déterminée. La reconnaissance du gouvernement de ces îles équivaut, pour l’Angleterre, à la protection de ses intérêts nationaux ; la reconnaissance de ce même gouvernement équivaut, pour les États-Unis, à l’abandon momentané de leurs intérêts. Au fond, c’est une querelle entre Anglais et Américains ; la France n’a là qu’un intérêt purement moral, et lorsqu’elle a signé la déclaration de 1843, elle n’a point évidemment songé à protéger les intérêts anglais ou américains, assez forts pour se défendre eux-mêmes, mais à protéger le roi Kamehameha et ses sujets. Qu’arriverait-il par conséquent le jour où le roi Kamehameha n’existerait plus et où ses sujets seraient absorbés par une population étrangère ? La déclaration d’indépendance aurait cessé, pour la France, d’avoir une raison d’être, et son devoir politique serait de rester neutre dans la querelle qui ne manquerait pas de surgir entre les deux grandes puissances de race anglo-saxonne. Quel intérêt avons-nous à empêcher ces îles d’être américaines plutôt qu’anglaises, si elles doivent cesser un jour d’appartenir à la population indigène ? Nous faisons cette observation, parce que, depuis quelque temps, nous devenons réellement injustes à l’égard de l’Amérique, et qu’il est à craindre qu’à un moment donné nous nous croyions obligés de défendre une indépendance qui n’existerait plus de fait. La politique française doit être dans cette question ce que serait, selon toute probabilité, la politique anglaise dans la question de Cuba, si les États-Unis tentaient résolument de s’en emparer. La France aurait tout intérêt à défendre l’Espagne d’une manière active, à lui prêter l’appui de ses armes et de sa marine, car la ruine de l’Espagne retomberait indirectement sur elle et affaiblirait encore ses alliances naturelles. Quant à l’Angleterre, il est permis de croire qu’elle n’offrirait à l’Espagne que son appui moral, et qu’elle garderait dans cette question une stricte neutralité. Cette ligne de conduite politique n’est point une hypothèse, elle a été recommandée plus d’une fois dans les journaux et les revues de l’Angleterre[1],

  1. Notamment dans un article très net du Westminster Review, n° de juillet 1855.