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et nous devons avouer qu’au point de vue anglais, elle est parfaitement raisonnable. L’esprit américain est, il est vrai, très envahisseur, mais nous n’avons probablement pas la prétention de régler ses destinées ; nous ne devons lui résister que là où nos intérêts réels sont en jeu. Tel est le cas pour Cuba, tel est le cas pour la possession exclusive de l’isthme de Panama ; quant aux îles Sandwich, c’est affaire à l’Angleterre de se pourvoir. Nous insistons sur ce point, parce que cette question de l’annexion peut se présenter à l’improviste, et que c’est assez des griefs sérieux que l’Amérique ne manquera pas de nous fournir sans aller nous en créer d’imaginaires.

Telles sont les intrigues dont l’archipel des Sandwich est le théâtre, et qui composent à peu près toute son histoire. Tout est récent dans ces îles, l’histoire politique comme l’histoire géologique elle-même. Lorsqu’elles ont surgi du sein de la mer pauvres et nues, continens et îles étalaient depuis longtemps sous le soleil les splendeurs de leur végétation, et avaient témoigné, par des efforts successifs de création, des vertus cachées de leur sol. L’aspect général de ces îles indique qu’il n’y a pas encore bien longtemps que la patiente nature y est assise devant ses creusets alchimiques. Pas de minéraux, sauf des matières volcaniques refroidies, sauf des matières en quelque sorte rudimentaires et en leur premier état de combinaison, des pierres calcaires et quelques lacs de sel liquide ; peu de forêts, peu de variétés de végétaux. Le règne animal, dans de telles conditions, y était, il y a soixante-dix ans, encore singulièrement restreint et se composait de chiens sauvages et de porcs ; les autres animaux y ont été importés depuis la découverte. Vancouver fit cadeau aux indigènes de bœufs et de vaches qui furent abandonnés à eux-mêmes et qui ont fini par former des tribus d’animaux sauvages dans les parties montagneuses de l’île d’Owhyhee. Les tribus ailées y sont aussi peu nombreuses que les quadrupèdes et y brillent par leur rareté. « C’est une sensation rafraîchissante, dit M. Hill, d’entendre tout à coup dans ces îles éclater le chant des oiseaux. » Le climat y est à la fois très sec et très humide, le terrain très fertile là où l’action bienfaisante des eaux s’est fait sentir, — partout ailleurs stérile, volcanique. La race qui habite ces îles n’est point autochtone et trahit une origine malaise[1]. Les mœurs de cette population étaient, comme celles de toutes les populations de l’Océanie, un mélange d’extrême férocité et d’extrême douceur ; ils dansaient, nageaient, suivaient avec une

  1. Comme depuis quelque temps la rage d’assigner une origine hébraïque à toutes les tribus sauvages semble s’être emparée des cerveaux américains et même de quelques cerveaux anglais, on n’a pas manqué de faire descendre les indigènes de l’archipel hawaïen des tribus juives. On s’est appuyé sur certaines coutumes et cérémonies, telles que la circoncision, l’offrande des prémices, la purification après l’accouchement, qui se trouvaient chez les naturels des îles Sandwich.